Retour sur la fascinante aventure des hélicoptères en gendarmerie
lundi 4 septembre 2023
Par Roger Drouin, lieutenant-colonel (réserviste), ancien des Forces aériennes de la gendarmerie (FAG) de 1975 à 1988.
Episode 1 : une naissance difficile (1950-1951)
Dans le contexte houleux de l’après-guerre émerge l’idée au sein de la gendarmerie de se doter d’un nouvel engin jugé par certains prometteur : l’hélicoptère. Les gendarmes y voient l’occasion d’améliorer leurs performances dans l’exécution de leurs missions. Mais la gendarmerie se heurte dès lors à l’opposition de divers acteurs, tant internes qu’externes, venant contrecarrer ses ambitions.
Au début des années 1950, dans un contexte d’après-guerre, le milieu militaire est marqué par la querelle opposant l’armée de l’Air à l’armée de Terre. La seconde revendique une place que la première ne veut pas vraiment lui concéder en matière « d’aviation de servitude ». Depuis la nuit des temps, l’homme - et particulièrement le militaire - a eu besoin de prendre de la hauteur pour mieux voir, mieux observer, mieux renseigner, mieux décider et, par voie de conséquence, mieux agir... Ce qui n’est pas forcément synonyme d’« agir à bon escient » !
Naissance de l’ALOA, Aviation légère d’observation d’artillerie
On note ainsi que les fantassins (pris au sens le plus large) sont preneurs, avec gourmandise, de ces renseignements pour éclairer leur manœuvre. Et parmi eux, les artilleurs sont au premier rang pour observer les coups au but (ou pas !) de leur canon et en rectifier le tir. De plus, forts de leur science, ils estiment qu’il serait inepte de confier cette mission à un aviateur seul. Un artilleur qualifié « observateur aérien » embarque donc dans l’aéronef. Il en est le chef de bord, le pilote étant cantonné au rôle de chauffeur. De là à imaginer que les artilleurs pourraient utilement se doter de leur propre aviation légère, il n’y avait qu’un pas que d’aucuns à l’État-major de l’armée de terre (EMAT) franchirent allègrement...
À l’autre bout du spectre, la toute jeune armée de l’Air, dont la naissance date de 1933, entend bien défendre bec et ongles son récent pré-carré. Pour elle, tout ce qui vole relève de sa seule compétence. Et même si, dans ses rangs, les puristes regardent avec un dédain de mauvais aloi l’aviation légère, il ne saurait être question pour eux de la concéder à qui que ce soit ! Il en va de même avec la nouveauté qu’est l’hélicoptère. Un machin sans aile, qui ne saurait prétendre à la qualité d’avion… Mais qui vole ! Il serait donc impensable que quiconque autre qu’un aviateur s’approprie sa gestion.
C’est de cette opposition que naîtra en 1951, en Indochine, l’Aviation légère d’observation d’artillerie (ALOA), sorte de mariage de la carpe et du lapin ! Dans lequel les taxis et les personnels techniques appartiennent à l’armée de l’Air et sont détachés auprès de l’ALOA1 dont les unités appartiennent à l’artillerie et sont commandées par des artilleurs. Le plus surprenant étant que, même si cela n’allait pas tout seul tous les jours, cela a fonctionné, et plutôt bien !
L’intérêt grandissant et controversé de la gendarmerie pour l’hélicoptère
En coulisse, discrètement comme à son habitude, la gendarmerie se réforme également pour préserver son indépendance et tenter de gagner son autonomie budgétaire. N’oublions pas qu’à cette époque, c’est encore de l’armée de Terre dont elle dépend, laquelle décide de son budget. Sur les propositions élaborées par les légions de gendarmerie et la Direction de la gendarmerie et de la justice militaire (DGJM) certes, mais la décision en dernier ressort appartient à l’EMAT.
C’est dans ce contexte que la gendarmerie se montre vivement intéressée, elle aussi, par l’aviation de servitude et même - outrecuidance s’il en est ! - par l’hélicoptère, lequel montre le bout de ses pales depuis trois ans. À la DGJM, d’aucuns sont persuadés de tenir là un moyen idoine pour le recueil du renseignement indispensable à la bonne exécution des missions de police administrative et de maintien de l’ordre. Mais ils sont loin de faire l’unanimité, quand ils ne suscitent pas, comme à l’EMAT, de francs éclats de rire !
Dans ce climat de défiance, trois personnages visionnaires joueront un rôle prépondérant pour contribuer à vaincre les oppositions qui s’expriment en interne comme à l’extérieur. Source : gendarmerie.interieur.gouv.fr
1 : L’ALOA deviendra l’Aviation légère de l’armée de terre (ALAT) en 1954.
Episode 2 : trois personnages visionnaires au service d’une stratégie (1952)
Face aux obstacles auxquels se heurte la gendarmerie pour obtenir des hélicoptères, trois personnages vont faire preuve d’une détermination sans faille et d’une indéniable ingéniosité pour tenter d’imposer l’engin tant convoité. Stratégie à l’appui, ils s’emploieront à convaincre le plus grand nombre du bien-fondé de leur projet et avanceront pas à pas vers sa concrétisation, parvenant progressivement à faire bouger les lignes.
Face à l’ambition de la gendarmerie d’imposer l’hélicoptère dans le paysage, il convient désormais de vaincre les oppositions internes et externes qu’un tel projet suscite. Pour ce faire, trois visionnaires sont à la manœuvre. De bas en haut du prisme, il y a là :
Le chef d’escadron (CEN) Jean-Barthélémy Fouché. De recrutement Officier-rang (OR), c’est un scientifique issu de Supéléc Toulouse, passé par l’artillerie où il a été aérostier, et observateur spécialisé dans le réglage des tirs de longue portée. Il a rejoint le bureau technique de la direction de la gendarmerie dont il est à l’époque le patron. Affermi dans sa conviction après un voyage d’études auprès de la police de New-York qu’il a vue utiliser des hélicos, il est l’initiateur du projet.
Le colonel Maurice Piqueton est quant à lui sous-directeur de la gendarmerie. Saint-Cyrien et colonel à seulement 48 ans, il est promu à un bel avenir. C’est aussi une personnalité haute en couleur, d’un physique en rapport et ayant un franc parler certain. Sans lui, les idées de Fouché seraient restées sans suite.
En haut du prisme, nous retrouvons Gérard Turpault, Directeur de la gendarmerie et de la justice militaire (DGJM). Ce magistrat est ce qu’il est convenu d’appeler une vocation contrariée : breveté pilote à 22 ans, blessé au combat durant la Première Guerre mondiale, chevalier de la Légion d’honneur « au feu » à 23 ans, les suites de ses blessures lui interdisent une carrière d’aviateur. Cet homme de grande qualité prête bien entendu une oreille attentive au projet que lui exposent son sous-directeur de la gendarmerie et l’officier chef du bureau technique. Le premier faisant preuve de persuasion et le second de conviction. Sans son appui inconditionnel, le projet ne serait jamais sorti des cartons.
Il leur faudra mettre en place une véritable stratégie pour parvenir à leurs fins et ainsi obtenir les engins tant convoités.
C’est dans ce cadre que le chef d’escadron Fouché obtient de haute lutte la formation, à titre expérimental, d’une promotion d’observateurs composée exclusivement de lieutenants de gendarmerie. Ces derniers sont opérationnels début 1952. Mais la mauvaise volonté des fournisseurs de moyens aériens et de créneaux de vols conduit l’expérience à l’échec. Elle n’aura pas de suite mais confortera Gérard Turpault dans sa volonté de se doter d’une flotte indépendante.
Une opération en trois temps
Le principe étant acquis, il faut maintenant manœuvrer pour l’imposer sans y paraître, et le faire accepter tout à la fois par l’État-major de l’armée de terre (EMAT) et les Commandements régionaux de gendarmerie (CRG)1. Il est décidé que l’opération se fera en trois temps quasi simultanés :
Tout d’abord démontrer le bien-fondé du concept par des essais effectués en vraie grandeur avec des moyens de location pour convaincre les Commandements régionaux de gendarmerie. À cet effet, une opération d’envergure sera conduite dans la région de Rambouillet à l’occasion des départs en vacances du 15 août 1952. Ce sera une réussite totale, qui mettra du côté des concepteurs le public, la presse et une bonne partie des officiers d’état-major du 1er CRG.
Ensuite, discrètement, former des spécialistes, pilotes et mécaniciens, et se doter des matériels nécessaires au développement du projet. Là, la partie s’annonce plus serrée... Le trio à la manœuvre aura recours à des subterfuges pour contourner les oppositions, notamment celle de l’EMAT, foncièrement fermée à l’idée que les gendarmes puissent avoir besoin d’hélicos. Étant donné qu’il n’était pas financièrement raisonnable de poursuivre l’expérimentation avec un hélico de location, la solution retenue consiste à se doter d’un de ses appareils. Mais le problème du financement de son achat reste entier. Celui de convaincre l’EMAT l’est tout autant !
Le CEN Fouché relève que, si le budget global des véhicules est bel et bien fixé par l’EMAT, la gendarmerie a néanmoins toute latitude pour le ventiler entre chars, camions, estafettes, motos et autres véhicules. Il suggère au colonel Piqueton qu’un hélico entre sans coup férir dans la catégorie des « autres véhicules » ! La stupeur passée, le sous-directeur de la gendarmerie trouve l’idée gonflée, mais plaisante, et la propose au directeur de la gendarmerie, qui la trouve originale et séduisante. Sans hésitation, il couvre la décision d’acheter un hélico sur les crédits dont il a la maîtrise. C’est ainsi que le premier Bell 47 de la gendarmerie sera, dans un premier temps, dépourvu de sérigraphie aéronautique et immatriculé 8 000 002, comme un camion !
Enfin, pour généraliser l’expérimentation, mettre en place un module d’essai placé pour emploi au CRG et soutenu administrativement (personnel et matériel) par le Groupement blindé de gendarmerie mobile de Satory. Il sera composé de l’hélicoptère Bell 47 et de deux équipages, qui seront rattachés à l’état-major (EM) du Groupement blindé de gendarmerie mobile (GBGM). En mission, ils seront aux ordres d’un lieutenant commandant de peloton du GBGM et qualifié observateur.
1 : Les Commandements régionaux de la gendarmerie sont créés par le décret du 10 janvier 1949 en remplacement des cinq arrondissements d’inspection recréés en 1946.
Episode 3 : stratégie et opportunités, ingrédients du succès (1953-1955)
À la faveur d’événements, aussi bien à l’international que dans le pays, de nouvelles opportunités stratégiques se présentent, avec à la clé la reconnaissance officielle de la première unité d’hélicoptères de gendarmerie, bientôt suivie d’une seconde.
De façon impromptue, fin 1952 - début 1953, les États-Unis cèdent à la France des H34 issus de la guerre de Corée. Ces appareils sont destinés à l’Indochine mais sous condition de ne pas être utilisés au combat… Navrant ! Mais il ne saurait être question de refuser un cadeau aussi bienvenu !
Le ministre de la Guerre décide d’affecter ces hélicoptères à l’armée de Terre. Ils seront regroupés au Groupement des formations d’hélicoptères de l’armée de Terre en Indochine (GFHATI), récemment créé au sein de l’Aviation légère d’observation d’artillerie (ALOA), et bien en peine de moyens. Le commandement du GFHATI a été confié au capitaine Marceau Crespin, un artilleur haut en couleur qui va marquer l’histoire des hélicoptères de l’armée de Terre, non seulement en Indochine, mais également en Afrique Française du Nord.
1953 : l’année fondatrice
Les hélicoptères donnés à la France par les États-Unis sont livrés à Saigon au début de l’année1953, mais en caisses. Pour les remonter et les remettre en conditions de vol, puis les servir, le capitaine Crespin a un besoin urgent de personnels qualifiés. À cet effet, l’État-major de l’armée de Terre (EMAT) lance un appel inter-armes à volontaires. Ces derniers, outre l’aptitude à l’emploi et à la mission, devront aussi signer un contrat de volontaires à servir dans les Théâtres d’opérations extérieurs (TOE) pour une durée de deux ans.
L’occasion fait le larron ! Le chef d’escadron Jean-Barthélémy Fouché y voit l’opportunité de former à bon compte les spécialistes dont il aura besoin lui aussi d’ici deux ans. De plus, ces pilotes et ces mécaniciens se seront aguerris par deux années de vols sur un TOE. Accessoirement, leur formation faite dans ce cadre n’éveillera pas les soupçons des opposants au projet « des Hélicos en Gendarmerie ».
Le colonel Maurice Piqueton avalise l’idée du chef d’escadron Fouché et la présente au directeur de la gendarmerie Gérard Turpault, qui décide immédiatement de répondre favorablement à l’appel à volontaires lancé par l’État-major de l’armée de terre (EMAT). Il y voit aussi l’éventuelle opportunité de justifier sa commande du Bell 47 financé sur nos crédits « véhicules » par la nécessité, dans l’urgence, de participer à la formation de ces futurs spécialistes. L’affaire est validée par l’EMAT.
Sitôt dit, sitôt fait. C’est dans ce cadre que la direction de la gendarmerie lance une campagne de recrutement, début 1953, pour former des pilotes et des mécaniciens. Lesquels, à l’issue de leur formation, partiront en Indochine ès-qualité de « volontaires TOE ». Toutefois, prudemment, à l’attention de l’EMAT et des opposants internes au projet, la Direction de la gendarmerie et de la justice militaire (DGJM) cultive avec soin la confusion entre le recrutement de fin 1952 et la commande du Bell 47 qui lui est liée, avec celui de début 1953 pour l’Indochine... S’engage ainsi une partie de billard à plusieurs bandes dans le but de conserver en métropole deux des équipages formés. Quant au Bell 47 « prêté » pour former les pilotes, tôt ou tard il reviendra inéluctablement à Satory pour y poursuivre la campagne de démonstration.
De fait, le Bell 47 est livré début octobre 1953 et détaché sans plus attendre à Issy-les-Moulineaux, tandis que se déroule la formation des pilotes : quatre mois répartis entre Carcassonne, d’abord, pour acquérir les bases avion, puis chez Fenwick à Issy-les-Moulineaux, pour les bases du pilotage Hélico, et enfin à Montgenèvre à partir de fin 1953 pour les rudiments du pilotage en montagne. Celles des mécanos sont également lancées (2 mois chez Fenwick sur les hélicos d’écolage).
1954 – 1955 : le temps des pionniers
En Indochine, les gendarmes s’intègrent parfaitement à la vie du GFHATI. Ils participent aux combats et acquièrent, parfois au prix fort, de l’expérience et du savoir faire. Ainsi, seul aux commandes de son Hiller, René Coulon est abattu par l’armée Việt Minh le 14 juillet 1954. Il avait 29 ans, 130 heures de vol et seulement deux mois de présence en Indochine.
Les gendarmes sont très appréciés par le capitaine Crespin, au point qu’il fait de l’adjudant de gendarmerie Jean Flandin son chef mécanicien.
Néanmoins, en 1954, le conflit s’essouffle. Ðiện Biên Phủ tombe le 7 mai. L’EMAT suspend alors les départs en Indochine. Il s’ensuit que les besoins du GFHATI sont moins pressants. Les pilotes et les mécaniciens formés sont « remis à la disposition de leur corps », ainsi que notre Bell 47 qui rejoint Satory le 4 mai 54, où, pour le compte du Commandement régional de gendarmerie 1 (CRG1), il doit « démontrer et convaincre ».
Le point d’orgue en la matière est l’opération de maintien de l’ordre d’août 1955 à Nantes. Le lieutenant Pierre Rossignol a été breveté pilote début août 1954. Il fait partie de ces volontaires TOE dont le départ pour l’Indochine a été suspendu. Depuis, il a repris sa place de commandant de peloton au Groupement blindé de gendarmerie mobile (GBGM) et attend de savoir ce qu’il va advenir de lui. En août 1955, son peloton est engagé sur une grosse opération de maintien de l’ordre à Nantes. Les ouvriers des chantiers navals y mènent une grève dure et agitée. Au point que des meneurs ont été arrêtés et conduits à la prison Saint-Michel en vue d’une comparution immédiate. Les grévistes ne l’entendent bien sûr pas de cette oreille et les Renseignements généraux font état d’un possible coup de main pour délivrer les prisonniers. Impensable ! À l’époque, la prison Saint-Michel est située en plein centre ville, dans la rue éponyme qui débouche sur la place du palais de justice. Lequel jouxte la prison. Jamais ils n’oseront !
Pourtant le doute est là et, si cela devait se produire, les conséquences politico-médiatiques seraient désastreuses. Le lieutenant Rossignol propose à l’état-major une couverture aérienne par l’hélico. Elle est acceptée. Très vite, le Bell permet d’éventer la ruse des manifestants. Acheminés par des itinéraires différents, ils ont convergé vers le boulevard Gabriel-Guist’hau d’où, une fois regroupés, ils vont pouvoir déferler par la rue Saint-Michel, qui descend jusqu’à l’entrée de la prison. Prévenu, le patron du dispositif peut, juste à temps, faire manœuvrer ses escadrons et faire échouer le projet des manifestants.
C’est un succès. Cette fois, même le général commandant la 3ème région militaire à Rennes se fend d’un rapport soulignant le rôle décisif joué par l’hélico, assénant à tous la preuve du bien-fondé de la création d’unités hélico en Gendarmerie. Gérard Turpault est aux anges. Maurice Piqueton jubile. Jean-Barthélémy Fouché aussi. Cette manœuvre sera décisive dans la conversion de l’EMAT.
Episode 4 : légitimité et indépendance (1956-1958)
La détermination et l’engagement inébranlables de quelques hommes ont permis, en une poignée d’années, de faire une place à l’hélicoptère au sein de la gendarmerie. Une réussite incontestable. Au fil du temps, certains protagonistes cèdent leur place à de nouveaux, non moins décidés à poursuivre leur action. C’est ainsi que l’aventure se poursuit au gré des opportunités et des événements, qui permettront d’asseoir davantage encore la légitimité des hélicos de la gendarmerie et de gagner en indépendance, pour quitter définitivement le giron de l’Aviation légère de l’armée de Terre (ALAT).
La fin prématurée de la guerre d’Indochine et le développement de celle en Afrique française du Nord perturbent le calendrier imaginé par la Direction de la gendarmerie. Néanmoins, d’un handicap, ils réussiront à faire une opportunité : muter les volontaires « détachés individuels » dans une seule et même unité pour en faire des « détachés en unité constituée ». Créant ainsi de facto une « escadrille d’hélicoptères légers de gendarmerie » détachée au sein du Groupe d’hélicoptères 2 (GH2). D’abord équipée de six hélicos Bell 47 prêtés par le GH2, ces derniers sont très vite remplacés par six hélicos neufs financés par la Gendarmerie. Cet investissement, réalisé avec le feu vert de l’État-major de l’armée de Terre (EMAT), implique de facto la reconnaissance officielle par ce dernier de l’existence d’hélicoptères en gendarmerie... et d’une première unité constituée !
Dans le même temps, en métropole, Gérard Turpault, surfant sur les bons résultats de l’opération de maintien de l’ordre de Nantes, a fait procéder à l’achat d’un second Bell 47, toujours sur les crédits auto. Immatriculé lui aussi comme un camion, il porte le n° 8 000 044. Tant et si bien que fin 1956, la flotte de la gendarmerie est forte de huit hélicos et de deux unités.
Gérard Turpault quitte la gendarmerie à l’été 1956. Mais avant de partir, il donne son aval au colonel Maurice Piqueton pour que ce dernier écrive au général André-Paul Lejay, alors patron de l’ALAT, pour lui indiquer que les contrats des Théâtres d’opération extérieurs (TOE) des gendarmes détachés au GH2 sont expirés depuis longtemps, et qu’il souhaiterait les récupérer. Le nouveau directeur de la gendarmerie, Georges Guibert, entérine ce courrier par une circulaire de novembre 1956 dans laquelle il indique clairement à l’EMAT qu’en plus de maintenir le cap de son prédécesseur, il accélère même le mouvement en prévoyant un déploiement des Sections d’hélicoptères en gendarmerie (SHG) en métropole, sur la base d’une SHG par Commandement régional de gendarmerie (CRG).
1956 – 1957 : changement d’équipe mais maintien du cap et accélération
En interne, le mot d’ordre demeure le même : saisir les opportunités pour développer le concept et le faire entrer dans les mœurs.
La première opportunité survient au dernier trimestre 1956. Le Maroc accède à l’indépendance et l’ALAT dissout le GH3. Les 12 hélicos qui le composent sont ventilés entre les Groupes aériens d’observation d’artillerie (GAOA) locaux et le GH2. Le reliquat, soit 6 appareils, doit être rapatrié au GH1 en région parisienne. Les appareils forment un détachement confié au lieutenant René Lacoste (un gendarme détaché au GH3 au titre des TOE) et embarquent sur un cargo à destination de Marseille. Survient alors l’affaire de Suez. Le cargo est détourné vers Port-Saïd. On connaît la suite... Le nouveau directeur de la gendarmerie, Georges Guibert, fait pression sur l’EMAT et obtient que 4 des 6 appareils du détachement Lacoste dont l’ALAT ne sait que faire - alors que l’Alouette II pointe le bout de ses pales depuis 1955 - lui soient attribués. Ce qui porte la flotte gendarmerie à 12 hélicoptères.
La seconde opportunité sera, à la fin de l’année 1956 : le drame de Vincendon et Henry. Cet événement tragique, si bien raconté par le colonel Blaise Agresti, sera à l’origine de l’organisation étatique du secours en montagne en France et du concept de l’utilisation de l’hélicoptère dans ce cadre. En cela, il sera aussi l’un des marchepieds tant attendu par le chef d’escadron Fouché.
Simultanément, toujours sur les crédits auto, il fait procéder à l’achat de quatre hélicoptères sur le marché de l’occasion, sans que l’EMAT n’y trouve à redire... Le parc gendarmerie est désormais de 16 appareils.
Georges Guibert juge alors que l’Afrique Française du Nord appartient au passé et donne la priorité à la métropole. Néanmoins, il utilise les opérations de maintien de l’ordre en Algérie pour affermir sa position.
1957 : déploiement en métropole
Dès les premiers mois de l’année 1957, les créations de SHG s’enchaînent à un rythme soutenu : Lille ouvre le bal le 26 février, suivie quinze jours plus tard, le 11 mars, de Lyon. Une semaine après, le 19 mars, c’est le tour de Toulouse. À peine trois semaines se sont-elles écoulées que le 5 avril, Verdun voit le jour. Quant à Berre/Marseille, sa création n’intervient que le 1er août.
Dans le même temps, en mars, le chef d’escadron Fouché lance le projet de création, au sein du Groupement blindé de gendarmerie mobile (GBGM) de Satory, d’un atelier central spécialisé pour le soutien technique du parc de nos 16 hélicoptères. Son commandement est confié à l’officier-auto du GBGM. Les travaux de construction seront achevés en octobre et la création officialisée fin décembre.
Mettant les bouchées double, Jean-Barthélémy Fouché, aidé du lieutenant Bernard Collard, rédige la première bible portant sur l’emploi des hélicoptères de la gendarmerie. La circulaire est datée du 16 mai 1957. Elle est encore imparfaite puisque non encore enrichie de l’expérience du terrain. Mais c’est déjà un embryon de doctrine d’emploi assez complet, qui fixe les grands principes qui vont perdurer pendant plusieurs décennies : l’emploi est dévolu aux CRG. Les personnels et les moyens « ordinaires » sont rattachés pour administration et soutien logistique général aux légions, voire aux groupements départementaux, du lieu d’implantation. Quant au soutien aéronautique, il est assuré par l’Atelier central hélicoptères (ACH), en cours de création au sein du GBGM, auquel il est rattaché pour administration.
Tout se passe donc plutôt bien et selon le plan prévu. Quand l’actualité s’en mêle de nouveau…
Le drame du 2 août 1957
Le lieutenant Bernard Collard est muté à Lyon où l’attend une Alouette II toute neuve, la première et pour l’instant la seule. Il rejoint son affectation le 1er août 1957. Le 2 au matin, l’école nationale de ski et d’alpinisme de Chamonix demande le concours de l’hélico pour un secours à effectuer près du refuge de l’Envers de l’Aiguille à 2 400 m d’altitude. Trop content de l’aubaine et de voler enfin dans ce massif mythique, le lieutenant prend la mission.
Tout se déroule parfaitement. Les sensations sont là. La perception du relief est intacte. L’Alouette II est une pure merveille. La météo, sans être parfaite, reste clémente. Si ce n’était l’ambiance du secours où une vie est en jeu, ce ne serait que du bonheur !
Bernard Collard effectue deux rotations pour déposer la caravane de secours. Hélas, la victime ne survit pas à ses blessures. Le gendarme décide de récupérer tout le monde en trois rotations. À la première, le corps et un guide. Puis le matériel. Et enfin les trois autres sauveteurs. À la seconde rotation, il s’avère que le matériel est moins volumineux qu’attendu. Les trois guides s’entassent avec le matériel. Le lieutenant Collard est-il un peu lourd ? Sans doute ? Au décollage, il rencontre un rabattant, n’a pas la puissance suffisante pour le contrer, et pompe sa turbine… C’est le crash. Il heurte un piton rocheux et termine sa course au fond du ravin. On déplore quatre morts et aucun survivant.
Évidemment, ce drame refroidit le déploiement des SHG... C’est ainsi qu’il faut attendre le début de 1958 pour qu’il reprenne. La SHG de Limoges naît le 25 janvier 58. Celle de Dijon voit le jour le 28 novembre, suivie par la SHG de Rennes le 14 décembre. Et comme pour parachever ce travail sur la métropole, en décembre 58, Guibert obtient, sans coup férir, la dissolution de l’Escadrille d’hélicoptères légers de la gendarmerie (EHLG) du GH2. Les trois détachements extérieurs de cette escadrille, situés respectivement à Batna, Guelma et Constantine, deviennent, sur le modèle métropolitain, les trois DHG du CRG 10 (Alger) implantés cette fois à Alger/Chéragas, Oran/La Sénia et Constantine/Oued Hamimine.
Nos gendarmes quittent ainsi définitivement le béret bleu de l’ALAT et retrouvent leur képi. La symbolique est importante. Elle acte de façon définitive l’existence des hélicos de la gendarmerie.
En cinq ans, de 1953 à 1958, les hélicoptères de la gendarmerie ont gagné leur droit à l’existence. À l’aube des années 1960, les Forces aériennes de la gendarmerie (FAG) sont prêtes à fonctionner.
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