Entre ruines de bagne du 19ème siècle et Centre spatial ultra-moderne, la Guyane, "Terre d’eaux abondantes" en Arawak, entretient son ambivalence entre tradition et modernité.
Avec sa forêt et ses mines d’or, elle véhicule aussi toujours mythes et légendes et se plaît à cultiver les paradoxes. Le travail aérien en hélicoptère n’échappe pas à cela.
En une trentaine d’années, ce département parmi les moins peuplés s’est retrouvé un des mieux dotés en hélicoptères civils ou publics. On dénombre quatre sociétés de travaux héliportés, deux hélicoptères pour le SAMU, une Section Aérienne de Gendarmerie avec deux appareils et une base de la Sécurité civile équipée de son Dragon 973. On peut aussi ajouter la Base aérienne 367 de l’Armée de l’Air qui dispose de cinq Puma et de trois Fennec.
Dès que l’on quitte la bande littorale large de quelques kilomètres et longue de 350, on se retrouve en forêt amazonienne primaire, laquelle couvre 90 % de ce grand territoire équivalent à un sixième de métropole (86 000 km²). Avec un réseau hydrologique très dense et de nombreux reliefs, la forêt est tout de suite impénétrable. Il n’y a plus de route et rares sont les pistes. Les trajets en pirogue, toujours très pratiqués, restent longs et encore souvent hasardeux.
Malgré plusieurs aérodromes existants le long des frontières avec le Surinam ou le Brésil et dans le centre, seul l’hélicoptère peut couvrir rapidement en tout point et par tout temps le plus grand département français pour transporter rapidement hommes et matériels.
Si l’on comprend facilement le besoin d’hélicoptères pour les Services publics de secours dans un tel environnement, la présence de quatre sociétés privées de prestations héliportées avec douze appareils interroge.
Certes, il y a les organismes publics, les municipalités et les entreprises qui œuvrent pour ces derniers, mais avec uniquement vingt-deux communes et 95 % des habitants sur la bande littorale, ils ne sont que le second affréteur d’hélicoptères.
Le principal client pour celui dont le nom le prédestinait à ce pays, l’agile et infatigable Écureuil AS350, c’est l’exploitant de mine d’or.
Le premier site aurifère découvert en 1855 entraîna une ruée vers l’or au début du vingtième siècle avec l’exploitation de milliers de mines pendant plus de 130 ans le long des centaines de rivières. La pirogue était alors l’unique engin de transport. Dans les années 80, un opérateur de travaux héliportés, Heli-Inter, reprit et développa l’activité créée par deux pilotes, ce qui permit l’ouverture de nombreuses nouvelles mines éloignées des cours d’eau navigables. Aujourd’hui, plus de 75 % des sites miniers n’existeraient pas sans l’hélicoptère, seul moyen de transport possible en personnel et surtout matériel. Avec une moyenne de 100 à 150 mines officielles et 70 sociétés d’exploitation, on comprend donc mieux le marché de plusieurs milliers d’heures de vol annuelles faisant tourner les AS350 B2 et B3 basés autour de l’aéroport de Cayenne. Même les mines ayant un accès par pirogue ou piste carrossable ont recours à l’hélicoptère pour des approvisionnements rapides de pièces détachées, de vivres ou de médicaments et pour des retours de production. Pour une mine uniquement accessible par les airs, l’hélicoptère est le troisième poste de dépense avec les rotations de gasoil, du personnel et de vivres. Rien que le gasoil peut représenter 50 heures par mois.
Le "paradoxe hélico" de Guyane se retrouve aussi dans les conditions de vol où l’extrême et la démesure sont quotidiens.
Quand une mise à disposition sur un site, c’est-à-dire le trajet entre la base de l’appareil et la zone de départ de travail est de quinze minutes dans l’hexagone, comptez au moins le double, soit 110 km, près de l’équateur français. Quand un acheminement dure quatre à six minutes pour l’aller-retour à un refuge des Alpes, comptez plutôt de 30 minutes à 2 h 30 au-dessus des arbres. Quand un bon pilote effectue 150 rotations par jour le long d’une voie ferrée en métropole, deux "aller-retour" de 2 h 30 avec 800 kg à l’élingue jusqu’à Trois-Sauts, le village le plus au sud-est, ce n’est pas si mal. Quand cinq heures au manche tous les jours vous épuiseront à Courchevel, essayez donc huit à dix heures au-dessus du "persil" amazonien…
Si vous rajoutez l’humidité importante dix mois sur douze, la chaleur toute l’année, des grains météo très fréquents, de la pluie drue et un plafond souvent très bas, de nombreux volatiles, un repérage visuel difficile, des terrains d’atterrissage souvent exigus et difficiles à trouver, vous obtenez un cocktail très exigeant. Mais si vous intégrez que vous volez souvent sans la moindre zone de posé possible à moins de cinq minutes, soit près de vingt kilomètres, alors bienvenue dans la parfaite définition de l’hostilité aérienne.
J’ai pu découvrir la réalité des vols exigeants et engagés de Guyane grâce à Michel Beaujard, pilote émérite qui sévit depuis 1992 au-dessus des arbres et rivières. Je l’ai accompagné une semaine comme "helpeur"* en novembre 2014 et me devais de partager cela avec vous.
En préambule, je vous invite vivement à découvrir le cursus et le parcours étonnant de ce pilote hors-norme, impressionnant de passion et de générosité en allant voir l’article portrait que j’avais fait sur Michel en mai 2014 (cliquez ici). Depuis l’automne 2013, l’appel de la forêt l’a fait revenir avec sa famille à Macouria, à 10 km à l’ouest de Cayenne où il est installé sur un ancien terrain ULM avec sa piste de décollage, un grand hangar et une confortable maison. Il dirige, avec son ami et associé Thierry Roche, une société de prestations de pilotage : Pilot’Air Aviation.
Il travaille pour différentes sociétés de prestations héliportées et pour des clients qui louent coque nue des appareils disponibles en Guyane comme l’AS350 B2 ou le R44 et le prennent comme pilote.
Ses missions sont très variées : acheminement de personnes et matériels en cabine, transport de charges à l’élingue comme fûts et touques de carburants, cuves, groupes électrogènes, morceaux de machines, poteaux, tuyaux... Michel est réputé pour son pilotage mais aussi pour son enthousiasme et sa disponibilité. Il totalise plus de 10 000 heures de vol à 59 ans.
Lundi 3 novembre : jour d’arrivée |
Mardi 4 novembre : jour 1 |
Mercredi 5 novembre : jour 2 |
Jeudi 6 novembre : jour 3 |
Vendredi 7 novembre : jour 4 |
Avec deux kilos d’insectes au m² de forêt, du sol à la cime des arbres, vous comprenez l’impératif des chaussures montantes et du pantalon, mais aussi de l’indispensable hamac et de la moustiquaire ! La bâche et la cordelette permettront de faire un abri contre les pluies fréquentes.
Il conviendra aussi de se protéger de la chute inopinée de branches, premier danger de la forêt bien avant le Jaguar ou les serpents. A savoir que ce sont les bestioles les plus petites qui sont les plus facheuses : parasites, tiques et bien entendu moustiques avec les risques de paludisme et de dengue… À défaut de hamac, la construction d’une estrade avec des branches pour se surélever du sol sera impérative en y ajoutant un toit si possible (Le carbet en Guyane).
Autre détail important, votre sac sera dans le cockpit, accessible et non attaché dans une soute. Un bout de corde de rappel de 20 m minimum est également conseillé pour descendre de l’arbre dans lequel vous risquez d’être coincé, ce qui peut également vous sauver. Un stylo laser vert, repérable de nuit à 15 km, peut aussi être ajouté sans vous alourdir.
Je me rends ensuite chez Hélicoptères de France (HDF), le plus gros opérateur de Guyane basé sur l’aéroport et le seul avec un CTA (Certificat de Transporteur Aérien).
HDF, dont le siège est à Gap, a le contrat SAMU H24 avec deux Dauphin dont un tout récent N3 et fait aussi toute la gamme des travaux héliportés avec trois Écureuil, un B2 et deux B3. |
Samedi 8 novembre : jour 5 |
Dimanche 9 novembre : jour 6 |
Voler en Guyane nécessite bien entendu plusieurs précautions particulières :
Tout d’abord, tout vol qui part au-dessus de la forêt doit obligatoirement faire l’objet d’un ou plusieurs plans de vol déposés (un par étape).
C’est le premier travail du matin pour Michel qui définit et minute son parcours de la journée avant de le déposer par téléphone aux Services de l’Aviation civile. Il activera et clôturera par radio ou téléphone chaque plan de vol prévu le long de la journée. Ensuite, la visite pré-vol de la machine doit être rigoureuse et approfondie, tout comme les calculs de consommation et les quantités de carburants pré-déposées en plus du réservoir. Je ne vous parle donc pas du suivi mécanique de maintenance qui doit être des plus stricts et sérieux possibles.
Il faut parfaitement paramétrer ses GPS, au moins deux à bord dont un portable. Il est très difficile de trouver un terrain de quelques dizaines de m² au cap et à la montre au bout d’une heure de vol !
Il est aussi évidemment de bon aloi d’avoir au moins une deuxième radio, plutôt portable, et un téléphone satellite.
Malgré le nombre très important d’heures de vol, on ne recense que très peu d’accidents d’hélicoptères en Guyane : Sur trente ans, une disparition corps et biens avec trois personnes dans les années 1980 et deux crash mortels avec pilote seul à bord d’AS350 B2.
Le premier qui est survenu en 1990 fut lié à une rupture mécanique. Le second s’est produit en 2013 à la suite de l’emmêlement d’un filet dans le rotor arrière de l’appareil. Quand on sait que dans les années 2000, on comptabilisait entre dix et douze mille heures par an en travail aérien et encore maintenant dans les huit à neuf mille en dehors du SAMU et ses 1200 heures record, ce bilan est vraiment impressionnant et très inférieur à celui des avions. Bien entendu, il y a eu d’autres accidents, mais malgré l’état des machines retrouvées, les pilotes sont toujours là pour remercier les concepteurs du fameux Écureuil.
C’est le cas de Yann Le Bouar, pilote et dirigeant bien connu de la société Yankee Lima Hélicoptères, qui a été lui aussi victime d’un crash avec destruction totale de sa machine dans la région de Camopi, au sud-est de la Guyane le 31 mai 1999. Joint par téléphone, étant en métropole pendant mon séjour, il me raconte ouvertement son aventure. Il fut sauvé par la mise en application d’une technique qui consiste à finir son autorotation par un "flare" très marqué dans les arbres avec la queue bien vers le bas pour qu’elle absorbe le plus gros de l’impact en s’écrasant.
Cela permet aussi aux occupants de rester au-dessus du groupe moteur – BTP, la partie la plus lourde, bien calés dans leur siège. La panne fut causée par un désamorçage de la pompe à kérosène lié à une gestion trop "tendue" de la consommation après avoir accepté une rotation supplémentaire. Bien que blessé à cause du basculement final de l’appareil sur le côté, Yann Le Bouar fut retrouvé au bout de 24 heures grâce à une balise de détresse complémentaire non homologuée à bord, celle d’origine n’ayant pas fonctionné ! Il reconnaît avoir eu une énorme chance malgré une cheville cassée, un traumatisme crânien et la perforation par des branches de sa gorge, d’un bras et d’une cuisse ! Il me parle volontiers de son accident et de la nouvelle philosophie de vie qu’il en a retirée en me précisant que son casque lui a sauvé la vie.
Début 2015, il a été victime, fait rarissime, d’une panne turbine sur un Écureuil B3 très récent lors d’une mission à l’élingue.
Un léger mouvement en lacet anormal l’a fait réagir et prendre de l’altitude. Deux autres plus rapprochés l’ont fait se dérouter sur une clairière qu’il connaissait par chance à deux minutes de vol sans qu’aucune alarme ne s’active. Il s’est mis en autorotation préventive et a juste eu le temps de larguer sa charge après remise de puissance pour se poser au moment de l’arrêt de la turbine !
Au fil des ans, les pilotes ont référencé tous les points de posé possibles, rochers, bords de rivière, clairières, mines ou pistes et se les ont échangés. Le plus proche de tous ces points rentrés dans les GPS est donc automatiquement sélectionné en cas d’urgence en appuyant sur la touche "nearest waypoint".
Lundi 10 novembre : jour de départ |
Voilà, vous êtes désormais prêts pour aller survoler la forêt guyanaise en hélicoptère, belle et envoûtante avec ses magnifiques jeux de lumière. Mais attention, vous risquez d’y prendre goût !
Vous trouverez en plus des six clips vidéos issus de mon voyage, un septième tourné en décembre 2014 qui présente, en images sol et embarquées, une
remaquable mission de transport de bois destiné à la construction d’embarcadères dans la région de Camopi, à mi-longueur de la frontière Est avec le Brésil.
Les commentaires en bas des photos du portfolio apportent aussi des infos complémentaires.
Un grand merci à Michel & Tatiane Beaujard qui m’ont invité et accueilli si gentiment chez eux et bien sûr à la société Pilot’Air Aviation qui m’a pris à bord.
Je remercie également Raphaël Giovanetti pour son accueil et son aide précieuse ainsi que Mathieu Laouenan de la Sécurité civile, Stéphane Pigeon de chez HDF et Yann Le Bouar de Yankee Lima Hélicoptères pour leur disponibilité.
Je finirai par un clin d’œil amical à Florence que j’avais rencontré à Valence chez Jet Systems et que j’ai retrouvée chez HDF, officiant comme "helpeuse"* avec Jean Félix, son pilote de mari, en "Terre d’eaux abondantes".
(*) : helpeur / helpeuse : assistant(e) au sol.
• Cliquez ici pour lire l’article intitulé : "Michel BEAUJARD : Pilote Globe-trotter !"
1er jour - Transports héliportés de personnels et matériels
Jour 2 & 3 : Transports de matériel - Vols de liaison Macouria - Bélizon - Saint-Élie
Jour 4 - Trajet cabine héliportage touque & Jour 5 - transfert de passagers
Jour 6 - Vol retour
Transports héliportés longues distances de poteaux lampadaires
Transports de touques pour la mine de Korosibo
Héliportage de Bois de Saint-Georges à Camopi
Héliportage de touques avec AS350B2 F-GYSD
Photos et Vidéos © Patrick GISLE
Messages
25 avril 2016, 10:24, par DELAFOSSE
Époustouflant article, bravo encore Patrick...
Il est évident que les nouvelles richesses des mines d’or de ce département d’outre-mer, suscitent davantage l’attrait que le sort des populations laborieuses de nos anciennes mines de charbon. Néanmoins, je suis convaincu que les aventures Guyanaises de l’ancien hélicoptère Sécurité civile EC 145 retiré de leur région Nord-Pas-de-Calais seront lues avec le plus grand intérêt !
25 avril 2016, 20:52, par Brice
Bonjour Patrick,
Magnifique article comme toujours, dommage de ne pas être passé nous voir, tu aurais blouclé la boucle avec l’ensemble des machines à voilure tournante sur le territoire Guyanais et nous nous serions fait un plaisir de te recevoir ;-)
Brice de la SAG
26 avril 2016, 11:07, par Dauphin Martial
Un article remarquable, qui fait honneur à un pilote et une équipe remarquable.
Déjà des milliers d’heures effectuées en zones hostiles en mono moteur. Un vrai savoir-faire, des procédures terrain efficaces, un pilotage adapté, pas de fioritures et pas de doutes, car le vol et la nature la-bas sont particulièrement hostiles !
27 avril 2016, 05:45, par Laquieze
Merci Patrick pour ces vidéos.
Helico fascination ou la passion de l’helico magnifiquement démontré dans ce reportage.
hubert
30 avril 2016, 13:16, par bruno
Bravo pour cet article Patrick Amicalement. Bruno .
17 mai 2016, 18:42, par potelle jean marie
Magnifique Article Patrick. La vie d’un pilote sur place doit être très contraignante ; Les condiotions MTO doivent être changeante régulièrement et se balader au dessus du Persil en permanence ne doit pas être rassurant . Encore bravo Patrick c’est très enrichissant . Grrand MERCI
23 mai 2016, 12:48, par Olivier Desjeux
Bravo pour la qualité de ce reportage. On sent bien que les difficultés et les pièges sont disséminés un peu partout dans ce milieu. En tout cas on s’y croirait, tellement c’est bien raconté et documenté.
8 janvier 2020, 09:30, par Patrick GISLE
Bonjour à tous
Michel Beaujard continue son activité toujours avec la même passion. Il m’a fourni il y a quelques mois de belles images de ses rotations d’héliportages de touques de carburant, dont certaines, exceptionnelles et inédites, réalisées depuis un drone. Toutes ont été filmées par Valentin Diakhaté que je remercie et félicite.
Je vous offre donc, en guise d’étrennes, un joli montage issu de 16 rushs et 15 sites de prises de vue.