En 1955, malgré les démonstrations concluantes, tout le monde n’était pas convaincu des possibilités de l’hélicoptère en montagne, il y avait un grand nombre de gens sceptiques. Jean MOINE, alors chef pilote de Fenwick Aviation, importateur du Bell 47, pensa alors qu’un atterrissage au sommet du mont Blanc, 4 807 m, serait une grande première et une formidable démonstration des possibilités de cette machine. Les appareils dont disposait la société étaient des B 47 G avec un moteur Franklin de 200 HP ce qui était nettement insuffisant pour monter aussi haut sans prendre de gros risques. Bell Aircraft avait alors mis au point une nouvelle version équipée d’un moteur Lycoming de 260 HP et de servocommandes. Cette version semblait présenter les performances pour survoler le toit de l’Europe.
Le N°1 de série arriva à Paris-Issy le 1er juin 1955. Tout de suite remonté, il quitta la capitale le 3 juin pour rejoindre Le Fayet en Haute-Savoie en fin de soirée. Le vol du F-BHGJ se fit sans incident à la satisfaction de tous.
Le 4 juin, Jean Moine exécuta une série de vols dans le massif en reconnaissance et fit plusieurs liaisons entre Chamonix et le col du Midi à 3 600 m. A cette altitude, avec deux personnes à bord, le stationnaire ne posait pas de gros problèmes. Décollage du terrain 1 100 m arrivée à 3 600 m en 17 minutes.
A noter qu’avec Robert REY, son mécanicien, Jean Moine avait mis au point un système permettant de gagner un pouce à la pression d’admission et surtout de ne pas utiliser le réchauffage carburateur. Ils avaient, grâce à la bâche située sur le moteur et entourant le ventilateur, réussi à canaliser l’air chaud pour l’amener, avec une légère perte de température, à l’admission du carburateur. Cette astuce s’est avérée payante.
Dans le même temps, notre pilote, va réaliser un exploit peu commun. Monté seul à bord au col du Midi en 9 minutes depuis Chamonix, il va charger un blessé et le redescendre en six minutes. Premier sauvetage aérien à plus de 3 000 m.
Ces quelques performances laissaient bien augurer pour la suite des évènements, surtout pour l’objectif qui lui tenait tant à cœur. Le même jour, quatre guides chamoniards partaient pour le sommet afin de damer et baliser la zone probable d’atterrissage.
Après avoir passé la nuit au refuge des Grands Mulets, 3 051 m, ces derniers étaient censés arriver au sommet vers 14 heures.
Le 6 juin, à 5 heures du matin, malgré des prévisions météo pessimistes, le ciel était parfaitement dégagé et, malgré un vent fort, les conditions de vol semblaient acceptables. L’appareil était allégé au maximum. Tout ce qui n’était pas indispensable pour cet exploit fut enlevé. Une partie de l’instrumentation, les coussins en cabine, le tube de garde, la batterie et la génératrice après la mise en route. Pour le carburant un seul réservoir à droite rempli de 40 litres d’essence. Gain de poids, 80 kg. Par contre, il fallut amarrer le matériel de secours constitué de skis, raquettes, bâtons, crampons, piolets, cordes et vivres soit 12 kg.
• Masse à vide 710 kg, après allègement 630 kg |
A 5 heures 15, décollage avec le guide André Contamine, qui servirait à donner des indications sur l’état de la neige et surtout à ramener notre pilote si l’appareil n’avait pu redécoller d’en haut. 15 minutes plus tard, le Bell se posait sur le dôme du Goûter à 4 300 m sans problème apparent et disposant encore d’un excédent de puissance.
Pour mémoire, c’est sur cette surface que Durafour posa son Caudron G3 le 30 juillet 1921. Première constatation pour l’équipage, la neige était dure et l’appareil muni d’une large traverse entre les patins n’enfonçait pas du tout. De son côté, la caravane avançait difficilement à cause de la météo et le mont Blanc risquait de se boucher avant leur arrivée.
Après concertation, nos deux compères de tenter l’atterrissage sans eux. Après un décollage quelque peu difficile, Jean atteint l’arête sommitale en quelques minutes. Il disposait de 14 pouces à la pression d’admission et rien de plus. Les possibilités d’atterrissage s’avéraient minces. Le vent soufflait à 25 kts et soulevait la neige formant ainsi la fameuse Écharpe du mont Blanc. En plus en cette saison, le sommet n’est pas constitué d’un pic mais d’une ligne de crête. Il arrive qu’en été, la glace fonde et offre une plate-forme de 10 à 15 m montant en pente douce jusqu’au point culminant.
En juin 1955, les conditions étaient plutôt hivernales et la crête rendait l’atterrissage presque impossible. Un petit replat découvert au dernier moment permettait celui-ci. L’emplacement pouvait recevoir juste les patins. La décision fut prise et l’atterrissage eu bien lieu. Contamine descendit le premier pour filmer une nouvelle approche et le posé de Jean Moine pour Pathé, puis ce dernier descendit de l’appareil pour quelques photos. Bien sûr, le moteur ne fut pas arrêté faute de batterie. Le décollage s’effectua en trichant un peu sur les tours, en faisant glisser l’appareil et plongeon dans la vallée. A 6 heures 15, soit une heure après, l’appareil se posait au Fayet.
Formidables exploits ce jour-là, d’un côté Jean Moine et le mont Blanc et de l’autre côté,
Jean Boulet et le record du monde d’altitude avec 8 209 m sur Alouette II. Je vous en reparlerai.
Anecdote de Jean-Marie Potelle concernant Jean Moine
"La photo où je me trouve avec lui a une histoire. En effet, il avait arrêté de voler ; un jour le démon l’a repris et il m’a demandé de lui renouveler sa licence. Nous l’avons fait sur un Bell 47 G1, c’est-à-dire équipé d’un moteur Franklin de 200 HP mais avec des servocommandes. J’en ai été fier car c’est lui qui, en 1957, m’avait fait faire mon premier vol sur hélicoptère à Issy-les-Moulineaux et ce, sur un Bell 47 G".
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