C’était le 21 juin 1972 que Jean Boulet, Directeur des Essais en Vol Hélicoptères de l’Aérospatiale, a mené son SA 315 B Lama F-BPXS à cette altitude au-dessus d’Istres. Cela fera 37 ans. Il faut quand même se rappeler que Jean est un récidiviste en la matière puisque le 6 juin 1955, il battait son premier record du monde d’altitude avec l’Alouette 2 à 8 209 m.
Ce dernier sera battu par un Cessna YH 41 avec 9 076 m en 1957. En 1958, Jean à bord du SA 3150 équipé de l’Artouste 3, avec des pales plus longues et plus larges arrivera à 10 984 m. Cet appareil était le banc d’essai de la future Alouette 3.
Le duel avec les Américains n’était pas terminé puisqu’en 1971, un Sikorsky S-64 était monté à plus de 11 000 m mais la marge de 3% n’étant pas au rendez-vous, ce record ne fut pas homologué.
Cette tentative stimula l’équipe qui avait proposé le posé au sommet de l’Everest 8 848 m. Mais le Directeur de l’Aérospatiale, montagnard convaincu, ne voulait pas que l’on touche à cette montagne sacrée. Restait donc pour le SA 315 B le Record du Monde d’Altitude toute catégorie.
Pour optimiser la performance, il était nécessaire d’augmenter un peu le régime rotor. Turbomeca s’est alors engagé à fournir une turbine avec un réducteur modifié pour augmenter le régime de l’arbre de sortie de 6%.
De son côté, J. Goude du bureau d’études signait en date du 28 janvier 1972 une note définissant les allègements possibles et prévoyant une masse de l’appareil hors carburant, avec pilote et équipement à oxygène serait ramenée à 917 kg. L’altitude pouvant être atteinte en conditions standard pouvant se situer vers 12 300 m.
L’allègement prévu avec l’accord de Jean Boulet comportait la suppression des instruments non indispensables (horizon, conservateur de cap) ; la batterie et le démarreur qui serait enlevé après le démarrage.
Mars 1972, la Direction donne son accord pour la tentative. En mai, le chantier de modifications était réalisé et les vols préliminaires pouvaient commencer pour établir la courbe de plafond en fonction de la masse. L’équipage Boulet-Boutin a mis en évidence certaines difficultés ente autres résonances air dues au mauvais fonctionnement des amortisseurs par grand froid et pompage de la turbine. Après avoir surmonté ces problèmes, un premier record sera battu en catégorie E1c, appareils de 1000 à 1700 kg, déjà détenu par Boulet et Petit avec une montée à 9 583 m en juin 1958. Le 9 juin 1972, c’est à 10 856 m que l’appareil a grimpé à la masse de 1189 kg.
Le record toutes catégories était à la portée. Les prévisions étaient bonnes, la presse et le Système de contrôle furent conviés le surlendemain.
Le 21 au matin, le premier regard de Jean se porta sur le ciel. Il était bleu avec quelques traces de cirrus. En cours de matinée, l’augmentation de ceux-ci donna quelques inquiétudes à l’équipe et malheureusement il était impossible d’avancer l’heure de décollage en raison de la lourdeur de dispositif de contrôle, pesée, mise en place des radars du site. Monsieur André Fafiotte, contrôleur agréé FAI a donné une masse de 950 kg à savoir : appareil 790 kg, pilote et parachute 90 kg, kérosène 70 kg ; 37 kg étaient encore gagnés par rapport aux prévisions de janvier.
La matinée avançait et les cirrus envahissaient le ciel ce qui n’était pas pour réjouir le pilote.
La mise en route s’est effectuée à 12 h 05 et il ne restait qu’un trou de ciel bleu au-dessus de la tête de Jean. Au bout de 12 minutes, il atteignait 11 000 m à la limite supérieure des cirrus. Le pilotage devenait difficile, les servocommandes ne suffisaient plus à contrôler les cycles et il devait s’arc bouter en s’aidant des genoux pour maîtriser la machine. Le nombre de mach important en bout de pale avançante, l’incidence importante de la pale reculante donnaient des moments aérodynamiques importants. En conséquence de quoi, il réduisit sa vitesse à 30 Kts. Pour ne rien arranger, le palonnier était également devenu très dur et la visibilité extérieure de plus en plus réduite. La cabine était entièrement givrée mis à part le carré de papier anti-givre qui était collé en face de lui sur le plexiglas. Température extérieure : -62°C ; heureusement à l’intérieur la température était légèrement positive. Avec ses vêtements après skis et les efforts auxquels il était soumis, il avait plutôt chaud.
A 39 600 Ft soit 12 100 m, il ne montait presque plus, il ne lui restait que 28 kg de carburant et pressé de redescendre dans son trou de nuage, il baissa le pas général et la turbine s’éteignit.
Celle-ci n’avait jamais été essayée par des températures aussi basses et dès que la puissance fut réduite la flamme a décroché. N’ayant ni démarreur ni batterie, pas question de remettre en route.
La descente en autorotation ne lui posait pas trop de problème, seul le cap était difficile à tenir à cause d’un effort important sur le palonnier gauche. C’est alors qu’il ne put repérer son espace dans les nuages d’abord à cause du givre qui lui masquait presqu’entièrement la vision extérieure et d’autre part, si en montant il avait bien vu le ciel bleu, en revanche le sol uniforme de Camargue recouvert d’une brume assez épaisse ne se distinguait plus d’en haut.
A plus de 11 000 m, sans horizon, sans conservateur de cap et sans même un compas de secours, il est entré dans la couche de cirrus. Les pilotes comprendront aisément son problème. La seule référence extérieure, le halo du soleil vaguement distingué à travers les nuages. S’il avait eu les moyens de maintenir le cap, le soleil lui aurait permis de maintenir une altitude constante, mais ce n’était pas le cas. L’hélicoptère tournait et le maintien de l’astre en question à une hauteur constante par rapport au fuselage l’amenait à cabrer considérablement après un changement de cap de 180°.
Pour éviter ce problème, il aurait fallu que le soleil soit à la verticale d’Istres et il n’en était rien. Le jour du solstice, à midi, il en était aussi peu éloigné qu’il était possible de l’être à cette latitude, ce qui bien sûr l’a aidé.
La radio, quant à elle, ne cessait de lui répéter de revenir au terrain, mais il en était bien incapable tout occupé à essayer de garder le halo du soleil à peu près au-dessus de sa tête. Même essayant de répondre à Istres, il a vu le soleil sur sa droite, dans le plancher et a rétabli de justesse.
Enfin à 7 000 m après une descente de 4 000 m en aveugle, il est sorti de la couche et a aperçu Istres assez loin tout juste accessible en autorotation. Pour allonger sa
trajectoire, il a affiché 70 Kts, mais ne pouvait pas aller au delà parce que le cyclique était en butée en l’absence d’empennage, enlevé pour allègement et du centrage arrière dans lequel il se trouvait. Il était nécessaire de se reposer sur le terrain de départ afin que le record soit homologué.
Le point exact du décollage ne fut pas atteint mais l’hélicoptère se posa dans les limites du terrain. C’était gagné !
En raison des basses températures extérieures, l’altitude indiquée était inférieure à l’altitude réelle. Le record fut donc homologué à 12 442 mètres. Aujourd’hui, il est toujours d’actualité.
Monsieur Jean Boulet, dont je vous raconterai l’histoire, n’aime pas qu’on l’appelle « Monsieur Records du Monde », il en a quand même 17 à son actif !
Pour lui, c’est l’appareil qui est la vedette car n’importe quel pilote aurait pu faire ce qu’il a fait. Personnellement je n’en suis pas si sûr mais quel personnage humble, Monsieur BOULET !
Rétrospective en photos
Photos extraites des archives personnelles de Jean-Marie Potelle
Messages
4 mai 2009, 07:56, par Chris
Ce record n’a d’égal que la modestie de Monsieur Jean Boulet ; respects ! Merci à Jean-Marie pour nous avoir raconté une grande page de l’histoire du Monde de la Voilure Tournante...
19 février 2011, 08:57, par Michel
Vous avez réalisé votre ultime vol le 15 février 2011 ; respect Mr Jean Boulet...
21 avril 2016, 18:31, par GÉRARDOT Jean-Pierre
Les records sont faits pour être battus.
21 avril 2016, 20:02, par BAISE ERIC
Bonjour , un exploit fascinant , j’ai cherché des vidéos relatives à ce vol , mais n’en ai trouvé nulle part .Où trouver un document vidéo du vol ? Je me souviens en avoir vu une partie aux informations de l’ORTF quand j’étais petit ...
Amicalement
Eric