Après deux années passées à Paris au Groupement Hélicoptère de la Protection civile, je me retrouve parmi les personnels navigants placés en réserve et destinés aux Bases de province dont la direction souhaite passer les effectifs à trois équipages.
De retour de congés dans ma région du Nord en ce début d’année 1974, je reprends mon service au sein de l’une des équipes de révision dans le hangar d’Issy-les-Moulineaux, tout en espérant une affectation un jour ou l’autre à Lille. Bien que le projet de construction d’une Base dans ce secteur soit toujours à l’étude, il n’y a jusqu’à lors aucun volontaire envisagé, je demeure donc quasiment certain de pouvoir être muté là-haut, tôt ou tard.
En attendant cette hypothétique installation, trois postes sont débloqués par la direction, deux sont aussitôt choisis avec empressement par mes collègues présents et le troisième restant m’est royalement imposé à ce retour de vacances. « A Bordeaux, tu es muté à la Base de Bordeaux-Mérignac » me rétorque mon Chef d’atelier. Cela n’était pas dans mes projets, mais me retrouver enfin opérationnel dans une base de province me console un peu.
Arrivé sur l’aéroport de Bordeaux-Mérignac, on m’envoie de l’autre côté de la piste où effectivement, j’aperçois la petite Alouette rouge stationnée devant son hangar à côté de plusieurs autres bâtiments qui ne semblaient pas être de première jeunesse. En effet, construits provisoirement après la guerre, ils furent ensuite récupérés par la Protection civile à la création de cette Base. Après m’être présenté à l’équipage de permanence, nous faisons le tour des installations tout en étant mis au courant des missions qu’ils effectuent, à savoir : évacuations sanitaires au profit des hôpitaux, assistance aux feux de forêt et surtout les déplacements saisonniers à Lacanau-Océan, rendus nécessaires face aux nombreux secours et sauvetages de baigneurs demandés en périodes estivales.
Mes premiers vols dans cette région d’Aquitaine me font découvrir l’immensité de cette forêt des Landes et mes toutes premières reconnaissances pédestres du centre-ville de Bordeaux me charment au plus haut point. Comment ne pas apprécier ce soleil et sa chaleur qui s’impose dès le premier fleurissement des genêts, jusqu’à la fin des vendanges sur les feuilles empourprées.
Tout jeune, plutôt habitué à la bière de table, le vin n’avait pour moi aucune attirance particulière, installé maintenant au cœur de cette magnifique région, cela ne durera pas…
L’arrivée des premiers touristes dès les vacances de Pâques crée une circulation automobile très intense et comme d’habitude, l’utilisation de notre appareil au service des autorités de Police et de Gendarmerie est sollicitée afin de surveiller du ciel la circulation routière et prévenir la formation des bouchons. Survolant les zones concernées avec deux gradés spécialisés à bord, et après avoir fait le tour de la question, tout semble pour l’instant correct et parfaitement fluide. J’entends quelques conversations entre le pilote et nos passagers qui pensent qu’une petite pause est nécessaire avant une nouvelle reconnaissance aérienne plus tard dans la matinée.
Le temps de me renseigner sur leur intention, nous nous approchons à la verticale de l’un de ces superbes châteaux viticoles de la région, et notre appareil se pose au beau milieu du parc. Accueillis par le maître des lieux en personne, que mes comparses semblent bien connaître, nous nous dirigeons directement vers les caves. Quelques marches plus bas, je pénètre dans une immense cave ou plus exactement un chai, sans imaginer que cela puisse être aussi majestueux. Les murs sont illuminés, et sur un sol impeccable, les barriques de chêne parfaitement alignées semblaient attendre notre visite. Dans une odeur enivrante, qui nous envahit totalement, je vois notre hôte plonger une énorme seringue à l’intérieur d’un fût, pour déverser ensuite délicatement dans nos majestueuses « boules de verre sur pied », son précieux nectar. Rigueur et service obligent, après deux ou trois rotations du poignet effectuées à l’imitation, quelques brèves gorgées suffiront à imprégner mes narines et papilles me procurant un bien immense.
Je venais de subir là, mon baptême bordelais, en me promettant de remettre à plus tard d’autres investigations envers ce prodigieux breuvage que l’on me qualifie « Meilleur vin du monde ».
Quelques mois plus tard, invité par le régisseur, je n’hésiterai pas à me joindre aux vendangeurs du Château PALMER sur la commune de Margaux, pour mieux découvrir encore le culte et la culture viticole.
Après avoir effectués à nouveau plus de cinq heures de vol, au service de la régulation routière en ce 13 avril 1974, de retour à la Base, nous apprenons le crash de nos collègues de Pau. Parmi eux, notre camarade Antoine MARTINEZ trouve la mort. J’avais fait ici même sa connaissance quinze jours auparavant. L’équipage venait d’effectuer comme nous, le même type de mission. Volant peut-être à trop basse altitude, leur Alouette III avait heurté une ligne à haute tension.
Toutes nos missions se suivent et peuvent se ressembler, mais chacune possède ses particularités. Quel que soit le vol effectué, notre attention se doit d’être soutenue et constante. C’est la première fois que j’apprends le décès accidentel de l’un de mes confrères, j’ignore encore que toute ma carrière sera jalonnée ainsi par ces drames.
Ayant un jour décidé d’effectuer un grand nettoyage de printemps, mon collègue pilote Max, se décide enfin à mettre un peu d’ordre dans ses vieilles archives qui encombrent un peu trop les tiroirs de son bureau. Petit à petit, je le regarde retirer un à un, papiers et documents les plus divers. Quand soudain, un cahier jauni par le temps attire mon attention. En effet, sur la couverture, deux noms apparaissent nettement en lettres majuscules, dont le mien. Intrigué, je demande à Max quelques explications. Lui-même surpris, il me déclare qu’il s’agit là d’un document datant de la guerre d’Algérie, sur lequel sont mentionnés les noms des militaires de la section qu’il commandait. En qualité d’adjoint, prônait en seconde position, celui de mon frère aîné Bernard DELAFOSSE. Comme le monde pouvait soudain me paraître bien petit, comment le hasard pouvait-il agir de la sorte… Ce bon vieux Max, n’avait même jamais fait le rapprochement. Souvent, il me faisait rire avec son embonpoint et son accent caractéristique du terroir jurassien. Sans cesse la bouffarde à portée de main, il empestait nos locaux pour la journée. On raconte qu’un jour, transportant Georges Pompidou, Chef du Gouvernement, il constata une anomalie au cours du vol qui l’obligea à se poser immédiatement en rase campagne, laissant au Premier ministre le soin de se faire récupérer pour poursuivre sa destination par voie routière. Le lendemain, il se justifiait auprès de la hiérarchie, prétextant qu’aucune impasse en matière de sécurité n’avait lieu d’être avec une telle personnalité à bord. Mais, connaissant les convictions politiques qu’il revendiquait sans cesse, je me demande encore si tout cela ne l’avait pas amusé un peu !
Notre vocation de sauvetage et de secours en mer nous obligeait à nous rendre chaque année à Nice pour effectuer notre stage d’initiation à la survie. Pratique de la plongée sous-marine, entraînement en apnée sanglés sur un siège descendus dans un puits de dix mètres, exercices d’embarquement en canots pneumatiques, descente dans les eaux stagnantes du port attachés dans une carlingue d’hélicoptère simulant un crash de jour comme de nuit, conférences et cours théoriques, tout cela était au programme de la semaine. Le plus agréable, c’est encore de bénéficier de ce déplacement pour rencontrer nos collègues des autres bases sous le soleil printanier de la Méditerranée.
Le week-end suivant, j’en profitais pour rejoindre une cousine d’un certain âge installée depuis plusieurs années à Cannes. Je ne la rencontrais qu’à cette occasion mais je correspondais avec elle très régulièrement.
Fille d’un cousin germain de mon père, Maurice DELAFOSSE (1870-1926), Gouverneur des Colonies Françaises, Ethnologue et Linguiste, cet homme était reconnu par le Président Léopold Sédar Senghor comme l’un des plus grands de nos Africanistes.
Désireuse d’écrire un livre sur la vie de cet illustre père, elle avait obtenu le financement de son ouvrage auprès du Président Félix Houphouët-Boigny et projetait d’effectuer en ma compagnie un voyage en Côte d’Ivoire pour lui présenter son œuvre et le remercier directement pour sa générosité. Malheureusement, elle fut violemment agressée en effectuant ses courses dans le centre-ville de Cannes. Elle succomba à ses blessures au cours de son transport à bord de notre hélicoptère Sécurité civile de Nice.
En octobre 1974, se rappelant mon appartenance à la région Lilloise, et sous prétexte de m’en rapprocher, la Direction du Groupement Hélicoptère me demanda d’accepter ma mutation à la Base de Granville dans la Manche. Bien qu’épris depuis plusieurs mois par la région du Sud-ouest, je n’ai pas osé refuser pour ne pas contrarier ma hiérarchie, avec le risque de la voir un jour s’en souvenir. J’ai donc accepté la proposition et après avoir attelé ma caravane et entassé toutes mes affaires, je suis arrivé à Granville quinze jours plus tard. Mais, profitant de l’aubaine d’une permutation avec un autre de mes collègues natif de cette région de la Normandie et malgré tout ce que j’y avais trouvé d’intéressant, je revins à nouveau dans la région bordelaise, en janvier 1976.
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« La souris de l’ordinateur de Marcel DASSAULT », cela pourrait bien être le titre d’un roman abracadabrantesque, mais parfaitement adapté à cette aventure vécue à la fin de l’année 1976, dans les locaux mêmes de la Base de Bordeaux-Mérignac.
Placés au plus près de la piste d’atterrissage de l’aérodrome, les locaux de notre base étaient parfois utilisés par les ingénieurs des usines DASSAULT pour y installer le plus efficacement possible et en toute sécurité, leurs ordinateurs et autres matériels de contrôle pendant toute la période des essais correspondants à la sortie d’un nouvel appareil.
Un beau matin, toutes les autorités concernées s’étaient donné rendez-vous à la base pour faire le point semble-t-il sur l’avancement du comportement en vol du FALCON 50. Mais aux branchements des ordinateurs, une détonation bizarre suivie d’un déclenchement de fumée et d’une coupure générale de courant provoque la stupéfaction de tous les invités. Aussitôt, l’alerte générale est donnée, arrivent ensuite les services de sécurité, la gendarmerie de l’aéroport, la pagaille est totale, j’entends parler de sécurité militaire, d’espionnage industriel et tentative de sabotage.
Bien évidemment, tout le personnel de la base est convoqué. Installé dans ma caravane implantée sur les lieux, à proximité immédiate des locaux, je suis moi-même bien évidemment questionné comme il se doit, créant le malaise le plus complet.
Or, il se trouve qu’après examen minutieux des lieux du « crime », le ou plutôt la coupable fut rapidement identifiée. En effet, les câblages des appareillages de contrôle traversent le toit de nos locaux pour rejoindre les antennes installées à l’extérieur.
Au cours du week-end précédent, profitant du calme, une souris en gestation avait suivi les câbles à partir du grenier, poursuivant sa course dans notre local principal pour parvenir à l’intérieur de l’un des ordinateurs et s’installer confortablement dans sa chaleur résiduelle. Elle avait amassé en touffe une multitude de déchets, rognant çà et là l’isolant plastique de quelques fils électriques. Heureusement, tout n’a pas brûlé, car jamais nous n’aurions pu découvrir ces indices et connaître le véritable auteur de ces méfaits.
Quelques jours plus tard, de bonne heure au travail, je décroche le téléphone qui sonnait avec insistance :
- « Bonjour, Marcel DASSAULT à l’appareil ».
Après un moment d’hésitation, je me présente également et nous échangeons quelques banalités avant qu’il me demande de laisser pour consigne aux ingénieurs d’essai de le rappeler dès leur arrivée. En raccrochant, je réalisais qu’en fait, dernière roue de la charrette de l’Aéronautique Française, je venais de discuter personnellement avec l’un des plus grands constructeurs de l’Aviation Mondiale.
Depuis des années, à l’approche de chaque saison estivale, l’unique appareil de la Base quittait Bordeaux-Mérignac pour s’installer deux mois durant sur la commune de Lacanau. La demande de secours aux noyés sur l’océan et les lacs environnants étant devenue une préoccupation majeure dès l’arrivée des plaisanciers toujours plus nombreux.
En cet été 1976, suite à la recrudescence des transports sanitaires et surtout à la demande toujours plus insistante de la Direction des Sapeurs-pompiers spécialisés dans la lutte contre les feux de forêts, une deuxième Alouette II nous arrive en renfort de Paris pour la durée de l’été. Sur l’appareil destiné aux survols des plages, l’absence de filtre antisable nous obligeait d’effectuer une modification du montage des entrées d’air de son turbomoteur, ceci afin de réduire au maximum l’érosion des aubes du compresseur. L’unique treuil électropneumatique muni de son câble de vingt-cinq mètres était également réservé prioritairement sur l’Alouette dévolue au secours de noyés.
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• Cliquez ici pour lire "Quand tu descendras du ciel... en Alouette II - Conte de Noël".
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En 1977, la Base de Bordeaux est la toute dernière base de la Sécurité civile à posséder encore une Alouette II. Deux années auparavant, l’appellation « Protection civile » avait été modifiée quand le Service national de la Protection civile du Ministère de l’Intérieur s’est transformé en Direction nationale. Cette base avait déjà été la dernière à utiliser les hélicoptères équipés de moteur à pistons, les Bell 47 G2 et Bell J3. Les anciens me racontaient que le Bell J3, pourtant parfaitement équipé d’un treuil électrique placé à l’intérieur de l’habitacle, provoquait souvent hilarité et étonnement sur les plages, quand, obligé d’hélitreuiller un noyé par forte chaleur, il perdait sa puissance et descendait lui-même au ras des flots au lieu de hisser la victime à bord. Gardée en mémoire, cette information me sera précieuse, voire salutaire dans le déroulement d’un sauvetage, que j’effectuerai plusieurs années après dans le Massif Alpin.
Fin décembre de la même année, on nous annonce enfin l’arrivée imminente d’une Alouette III. Elle fait partie d’un lot d’appareils acheté d’occasion par l’Etat français au Portugal après leur retour de l’Angola. La couleur kaki restera intacte avant leurs prochaines révisions et cela n’est pas sans nous rappeler quelques vieux souvenirs de nos périodes effectuées dans l’Aviation Légère de l’Armée de Terre.
Ma toute dernière mission dans cette Base de Bordeaux-Mérignac eut lieu le 15 juin 1978.
Prévue de longue date, cette mission consistait à nous mettre en place avec notre nouvel appareil près de Périgueux avec médecin à bord et consigne de ne répondre à aucune autre mission, en ignorant notre vocation sacrée de pleine disponibilité envers les secours à la population. En visite chez nous dans son château du Périgord, la Reine-Mère d’Angleterre se devait d’être protégée et assistée par notre République bienveillante.
A l’égard de cette respectable représentante de la monarchie britannique, c’est certainement cela que l’on appelle plus communément « agir avec diplomatie ».
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MAJ 05-06-2021 |
Messages
25 décembre 2016, 16:28, par vercoglio fabienne
merci pour ce recit qui nous a permis de faire travailler la mémoire défaillante de mon père Max Vercoglio ,et de confirmer vos anecdotes et bien d’autres, il vous appréciait beaucoup
sa fille Fabienne
21 février 2023, 15:46, par le borgne Eric
Bonjour
Merci pour cet article, je suis le fils d’Alexandre le Borgne, décédé en 1991 sur dauphin 365C en bretagne
Il est présent sur la photo " L’équipage BARTHELEMIO-LE BORGNE devant le BELL 47 J3 F-ZBAH à Lacanau-Océan"
Nous serions heureux d’avoir une copie de la photo originale
En vous remerciant par avance