Valérie André : Mademoiselle Hélicoptère par Blake Clark

lundi 21 avril 2008

Article paru dans L’album des jeunes sélection du Reader’s digest 1962
Mademoiselle Valérie-Edmée André n’est petite que par la taille : 1 m 60. Cela dit, courageuse jusqu’au bout des ongles. Capitaine chirurgien et pilote d’hélicoptère sur le front d’Indochine, elle volait au cœur de la bagarre et, au besoin, traitait sur place les blessés graves, avant de les transporter vers l’hôpital le plus proche. Elle a effectué là-bas 125 missions et accompli 173 sauvetages.
Un jour, un message parvint au camp d’aviation de Giam-Lam, près de Hanoï : — Capitaine André, préparez-vous ! Deux blessés graves à évacuer de Han-Mac. Rendez-vous avec la patrouille de chasse. Valérie s’envole vers Phu-Ly, tout près des lignes viets. En code, elle lance un message radio à la chasse, dont la mission est de la protéger : — Ventilateur appelle. Aussitôt lui parvient la réponse : — Ici Chef bleu, je serai là dans trois minutes. Dans une petite clairière, un peu plus loin, elle aperçoit une marque blanche et se prépare à atterrir dans cet avant-poste, attaqué par surprise la nuit précédente. C’est un carré d’une dizaine de mètres de côté entouré de barbelés. A chaque coin une mitrailleuse en batterie. Le capitaine André descend en spirale, s’écartant le moins possible de la verticale, de manière à rester sous la protection des mitrailleuses. Deux chasseurs d’escorte patrouillent en rase-mottes, mitraillant la jungle environnante afin de décourager les tireurs isolés. L’hélicoptère se pose dans la clairière. Valérie laisse tourner le moteur et va examiner les deux Vietnamiens blessés. L’un d’eux souffre horriblement d’une blessure profonde à la cuisse. Elle lui fait une piqûre de morphine, et des brancardiers installent le blessé dans l’une des civières accrochées aux flancs de l’hélicoptère. Le second soldat, qui a une épaule fracassée, est placé dans l’autre civière. Tandis que Mademoiselle André les enveloppe dans leurs couvertures, le sergent qui commande le poste arrive en courant, chargé d’un paquet de lettres. — Pouvez-vous les emporter ? implore-t-il. Mes hommes sont ici depuis un an. Les avions ravitailleurs nous parachutent du courrier, mais c’est la seconde fois seulement que nous avons l’occasion d’en envoyer. Le capitaine André prend le paquet et décolle. Après avoir dépassé Phu-Ly, elle lance un message radio : — Merci, Chef bleu, je pourrai atterrir toute seule. Elle plane habilement et se pose avec la douceur d’une colombe. Il ne reste plus qu’à transporter en hâte les blessés à l’hôpital. De retour au camp de Giam-Lam, Mademoiselle André met pied à terre, allume une cigarette et rédige son rapport. « 160 kilomètres. Deux heures et demie de mission. Pas d’ennuis de moteur. Pas de D.C.A. Les blessés sont en bonnes mains. Voyage sans histoires. »
Bien qu’elle soit fort petite, Mademoiselle André a la poigne solide. Elle est, avec cela, sensible, alerte, rapide comme le vif-argent. Sa bouche bien dessinée est toujours prête à sourire. Sixième d’une famille de neuf enfants, elle est née à Strasbourg, où son père était professeur au lycée. Le courage et l’esprit d’indépendance ont toujours été les qualités dominantes de cette enfant. A treize ans, elle se passionne pour la moto. Un jour, à la foire de Strasbourg, elle va voir dans une baraque des casse-cou tourner à toute vitesse sur un mur circulaire en bois. Leur numéro terminé, elle quitte sa place et demande qu’on lui laisse faire un essai. Elle conduit si bien ces engins bondissants et rapides que les acrobates l’invitent à s’engager dans leur troupe.
Sa passion pour l’aviation est née le jour où le fiancé de sa sœur l’a emmenée faire un tour en avion. A dix-sept ans ; elle prend ses premières leçons de pilotage. Survient la Seconde Guerre mondiale. Les Allemands arrivent et ferment les écoles de pilotage. Valérie André s’oriente vers sa seconde passion, la médecine.
En 1941, elle s’inscrit à la faculté de Strasbourg, alors en exil à Clermont-Ferrand.
En Novembre 1943, la Gestapo fait une descente à la faculté et arrête tous les étudiants qui tombent entre ses griffes pour les envoyer en Allemagne. Valérie, ce jour-là, est à l’hôpital. Sa propriétaire parvient à l’avertir. Elle se sauve et vient se réfugier à Paris. Elle continue ses six ans d’études à la faculté de médecine et se spécialise dans la chirurgie du cerveau. Elle entreprend également de compléter ses connaissances dans un domaine qui lui tient au cœur en suivant des cours sur les problèmes de biologie aéronautique, et elle prépare une thèse qui lui vaut le titre de lauréat de la faculté de médecine et la médaille d’argent, décernée chaque année à quelques élèves particulièrement doués et remarquables.
Son diplôme en poche, Valérie combine ses deux vocations en remplaçant le major au camp d’aviation de Mitry-Mory, où l’on forme des parachutistes. Pour plaisanter, ceux-ci la mettent un jour au défi de sauter, et elle ne se fait pas prier. Elle est si menue — 45 kilos — que les hommes l’ont surnommée « la môme quinze grammes ». Toujours la première à sauter, elle est toujours la dernière à arriver au sol.
Un jour, alors qu’on se prépare à sauter, le général commandant la base fait une inspection surprise. Tandis que les soldats se mettent au garde à vous, Valérie essaie de se cacher au troisième rang entre deux gaillards de 1 m 80. Le général passe, s’arrête devant elle, la dévisage avec un air railleur et s’écrie : — Ça par exemple ! Mais c’est une femme ! Le commandant se hâte de lui expliquer que « Mademoiselle le Docteur » soigne les soldats avec tant de dévouement que, pour la remercier, ils l’emmènent avec eux. Echange de bons procédés. — A-t-elle sauté ? demande le général. — Quinze fois, mon général ! Et au poil ! Quinze fois ! Faites-lui passer l’examen médical et, si elle est apte, qu’on lui donne le brevet. Et voilà comment Valérie, le « Toubib », devint parachutiste en titre.

Lorsque l’armée française demande des médecins pour l’Indochine, Mademoiselle Valérie André se porte volontaire. Arrivée à Saigon en 1949, elle est nommée assistante du médecin chef de l’hôpital Coste, centre de neurochirurgie. Un matin, le médecin-général André Robert l’appelle à son bureau. On vient d’apprendre qu’un sergent français est très gravement malade dans le haut Laos. Il faudrait cinq jours au médecin le plus proche pour parvenir à ce poste avancé, à supposer qu’il réussisse à traverser un territoire infesté d’ennemis. Le général Robert explique à Mademoiselle André que l’état du sergent exige des soins immédiats et lui demande si elle est prête à se laisser parachuter. Elle répond aussitôt par l’affirmative. Elle passe trois semaines sur les lieux à soigner le sergent, ainsi que plusieurs malades atteints de typhus. Mais alors se présente un autre problème qui a toujours donné du fil à retordre au service de santé : quand on a parachuté un médecin pour une mission spéciale, comment le récupérer ensuite ? Cette fois-là il faut vingt-six hommes et un certain nombre d’animaux de trait. Ils se fraient un passage en file indienne à travers la jungle épaisse. Les indigènes ne cessent de parler de cette jeune femme médecin qui est descendue du ciel. A toutes les étapes, sur le chemin du retour, les villageois viennent lui demander de soigner leurs malades. Jusqu’à une heure avancée de la nuit, longtemps après que les soldats épuisés par une journée de marche se sont endormis, Valérie prodigue ses soins aux Vietnamiens. Au bout de cinq jours il ne lui reste plus de médicaments, mais elle a des quantités de porte-bonheur, de curieux bracelets de coton, attachés à son poignet par les habitants de la jungle reconnaissants. Cette expérience montre à Mademoiselle André que les combattants d’Indochine ont un besoin criant d’hélicoptères.
Au cours de 1950, le général Robert apprend qu’il va enfin disposer de deux hélicoptères. Valérie se porte aussitôt volontaire pour apprendre à les piloter au cours d’une prochaine permission en France. C’est ainsi qu’elle passe sa « permission » à 48 kilomètres de Paris, à Cormeilles-en-Vexin, dans une école d’entraînement privée réservée à l’armée et dirigée par le commandant Henry Boris. A cette époque, la France ne compte que trois ou quatre pilotes d’hélicoptère. Seule femme d’un groupe de six élèves, Mademoiselle André n’est pas prise très au sérieux dans les débuts. Mais bientôt les hommes comprennent que cette petite femme aux épaules si fragiles n’est pas là en amateur. En tout cas elle ne profite jamais de ce qu’elle est femme pour couper aux corvées. Comme tout le monde, elle pousse les hélicoptères pour les rentrer le soir dans les hangars et les en sortir le matin. Elle fait le plein, frotte et nettoie les appareils. Son instructeur, André Onde, se souvient pourtant d’un cas où son instinct féminin s’est manifesté. Par une chaude journée du mois d’août, un corbeau vient se poser sur la route et ses pattes sont prises dans l’asphalte qui fond au soleil. Les hommes rient à gorge déployée en voyant les efforts qu’il fait pour se libérer. Valérie, elle, ne rit pas. Elle se précipite et dégage l’oiseau qui, en se débattant s’est cassé trois griffes. Valérie sort sa trousse, procède à une amputation selon toutes les règles de l’art, panse le corbeau sans se soucier des rieurs et lui rend la liberté.
Le commandant Boris assiste à son « lâcher », son premier vol seule à bord d’un hélicoptère. — Elle s’en est bien sortie ! dira-t-il plus tard. Quelle maîtrise ! Cette femme a un sang-froid merveilleux ! Valérie obtient son brevet, et le commandant Boris la considère à l’heure actuelle comme un des meilleurs pilotes d’hélicoptère qu’il connaisse. Elle a aussi passé son brevet de transport public, brevet aux épreuves difficiles qu’elle est la seule femme au monde à posséder. De retour en Indochine, Valérie réussit à sauver des hommes qui, sans cela, n’auraient pas survécu.
Elle m’a raconté qu’une fois elle est restée six jours seule avec deux compagnies de légionnaires. Le capitaine Alexis Santini l’avait amenée en avion pour qu’elle pût soigner sur place dix-sept blessés en attendant que Santini les transporte deux par deux à l’hôpital. Par suite d’ennuis mécaniques, il lui avait été impossible de revenir après son second voyage. Valérie avait la responsabilité des treize blessés restants. Tandis que la bataille faisait rage entre les légionnaires et les éléments de guérilla qui entouraient le poste, elle opéra deux hommes blessés à la tête et un autre dont le genou avait été labouré par un éclat d’obus. Pour salle d’opération elle disposait d’une tente, pour table, de bambous grossièrement assemblés. Le sixième jour, elle profita d’une accalmie pour s’échapper avec ses treize blessés dans un camion, au nez de l’ennemi. Un jour elle décolla avec un chargement de blessés au milieu du feu des mortiers. Elle avait à peine atteint 100 mètres d’altitude que les mitrailleuses et les fusils se mirent à cracher. Une balle atteignit le haut de la civière de droite. Cette partie, faite d’une composition à base de carton, sert d’abri au blessé. Avec un horrible bruit de râpe, le projectile fendit le sommet de la civière sur toute sa longueur comme l’eût fait une paire de ciseaux géants. Etant chargé, l’hélicoptère ne pouvait s’élever que d’une cinquantaine de mètres à la minute. Ces minutes furent un véritable martyre. Valérie continua de monter à la verticale afin que, si l’appareil était atteint, il pût se poser dans l’avant-poste et non au milieu des ennemis. A 300 mètres d’altitude, les oreilles résonnant encore du bruit des balles, elle put prendre la direction du retour.

Valérie André, à son retour d’Indochine, connaît beaucoup d’autres glorieuses aventures et surmonte de nouveaux dangers. Pendant cinq ans elle est affectée au centre d’essais en vol de Brétigny-sur-Orge, près de Paris, comme pilote et médecin du personnel navigant. Puis, nommée pilote et médecin chef d’une escadre d’hélicoptères lourds et légers en Algérie, elle mène à bien plusieurs centaines de missions. Le médecin-commandant André, une des femmes les plus célèbres de France, est chevalier de la Légion d’honneur, titulaire de la croix de guerre des T.O.E. avec cinq citations à l’ordre de l’armée et de la croix de la valeur militaire. « Cache, sous une frêle apparence féminine, une énergie peu commune, un courage à toute épreuve, un dévouement sans limite et la plus froide audace. Sert magnifiquement la cause de la France ». Tel est le texte d’une de ses citations. De son côté, le Viêtnam lui a décerné sa propre croix de guerre et la croix d’officier de l’Ordre national du Viêtnam. Pourtant, comme c’est le cas pour beaucoup de vrais braves, Valérie ne cherche pas du tout à jouer les héroïnes. Elle s’est refusée à porter le ruban rouge jusqu’au jour où son beau-frère, lui-même chevalier de la Légion d’honneur, lui a dit que c’est une des règles de l’ordre. C’est alors seulement qu’elle permit à sa sœur de coudre le ruban sur sa tunique. La vie en période d’opérations militaires n’a jamais passé pour spécialement agréable. Il faut souffrir, pour le moins, toutes sortes d’incommodités et d’inconforts. Mais Mademoiselle André ne se plaint pas. Elle ne prend presque pas le temps de se distraire et n’a pas souvent son compte de sommeil. Mais où qu’elle passe, que ce soit dans un hôpital, dans un poste ou dans la rue, il n’est pas rare qu’un soldat vienne à elle pour lui dire : — Mademoiselle Hélicoptère, vous souvenez-vous de moi ? Vous m’avez sauvé la vie.
Source
Valérie André dessin illustration 1962 - Dessin DR L'album des jeunes sélection du Reader's digest (1962)
Général Valérie André 1922-2025 - Photo DR

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