Valérie André : Mademoiselle Hélicoptère par Blake Clark

lundi 21 avril 2008

Article paru dans L’album des jeunes sélection du Reader’s digest 1962
Mademoiselle Valérie-Edmée André n’est petite que par la taille : 1 m 60. Cela dit, courageuse jusqu’au bout des ongles. Capitaine chirurgien et pilote d’hélicoptère sur le front d’Indochine, elle volait au cœur de la bagarre et, au besoin, traitait sur place les blessés graves, avant de les transporter vers l’hôpital le plus proche. Elle a effectué là-bas 125 missions et accompli 173 sauvetages.
Un jour, un message parvint au camp d’aviation de Giam-Lam, près de Hanoï : — Capitaine André, préparez-vous ! Deux blessés graves à évacuer de Han-Mac. Rendez-vous avec la patrouille de chasse. Valérie s’envole vers Phu-Ly, tout près des lignes viets. En code, elle lance un message radio à la chasse, dont la mission est de la protéger : — Ventilateur appelle. Aussitôt lui parvient la réponse : — Ici Chef bleu, je serai là dans trois minutes. Dans une petite clairière, un peu plus loin, elle aperçoit une marque blanche et se prépare à atterrir dans cet avant-poste, attaqué par surprise la nuit précédente. C’est un carré d’une dizaine de mètres de côté entouré de barbelés. A chaque coin une mitrailleuse en batterie. Le capitaine André descend en spirale, s’écartant le moins possible de la verticale, de manière à rester sous la protection des mitrailleuses. Deux chasseurs d’escorte patrouillent en rase-mottes, mitraillant la jungle environnante afin de décourager les tireurs isolés. L’hélicoptère se pose dans la clairière. Valérie laisse tourner le moteur et va examiner les deux Vietnamiens blessés. L’un d’eux souffre horriblement d’une blessure profonde à la cuisse. Elle lui fait une piqûre de morphine, et des brancardiers installent le blessé dans l’une des civières accrochées aux flancs de l’hélicoptère. Le second soldat, qui a une épaule fracassée, est placé dans l’autre civière. Tandis que Mademoiselle André les enveloppe dans leurs couvertures, le sergent qui commande le poste arrive en courant, chargé d’un paquet de lettres. — Pouvez-vous les emporter ? implore-t-il. Mes hommes sont ici depuis un an. Les avions ravitailleurs nous parachutent du courrier, mais c’est la seconde fois seulement que nous avons l’occasion d’en envoyer. Le capitaine André prend le paquet et décolle. Après avoir dépassé Phu-Ly, elle lance un message radio : — Merci, Chef bleu, je pourrai atterrir toute seule. Elle plane habilement et se pose avec la douceur d’une colombe. Il ne reste plus qu’à transporter en hâte les blessés à l’hôpital. De retour au camp de Giam-Lam, Mademoiselle André met pied à terre, allume une cigarette et rédige son rapport. « 160 kilomètres. Deux heures et demie de mission. Pas d’ennuis de moteur. Pas de D.C.A. Les blessés sont en bonnes mains. Voyage sans histoires. »

Bien qu’elle soit fort petite, Mademoiselle André a la poigne solide. Elle est, avec cela, sensible, alerte, rapide comme le vif-argent. Sa bouche bien dessinée est toujours prête à sourire. Sixième d’une famille de neuf enfants, elle est née à Strasbourg, où son père était professeur au lycée. Le courage et l’esprit d’indépendance ont toujours été les qualités dominantes de cette enfant. A treize ans, elle se passionne pour la moto. Un jour, à la foire de Strasbourg, elle va voir dans une baraque des casse-cou tourner à toute vitesse sur un mur circulaire en bois. Leur numéro terminé, elle quitte sa place et demande qu’on lui laisse faire un essai. Elle conduit si bien ces engins bondissants et rapides que les acrobates l’invitent à s’engager dans leur troupe.

Sa passion pour l’aviation est née le jour où le fiancé de sa sœur l’a emmenée faire un tour en avion. A dix-sept ans ; elle prend ses premières leçons de pilotage. Survient la Seconde Guerre mondiale. Les Allemands arrivent et ferment les écoles de pilotage. Valérie André s’oriente vers sa seconde passion, la médecine. En 1941, elle s’inscrit à la faculté de Strasbourg, alors en exil à Clermont-Ferrand.
En Novembre 1943, la Gestapo fait une descente à la faculté et arrête tous les étudiants qui tombent entre ses griffes pour les envoyer en Allemagne. Valérie, ce jour-là, est à l’hôpital. Sa propriétaire parvient à l’avertir. Elle se sauve et vient se réfugier à Paris. Elle continue ses six ans d’études à la faculté de médecine et se spécialise dans la chirurgie du cerveau. Elle entreprend également de compléter ses connaissances dans un domaine qui lui tient au cœur en suivant des cours sur les problèmes de biologie aéronautique, et elle prépare une thèse qui lui vaut le titre de lauréat de la faculté de médecine et la médaille d’argent, décernée chaque année à quelques élèves particulièrement doués et remarquables.
Son diplôme en poche, Valérie combine ses deux vocations en remplaçant le major au camp d’aviation de Mitry-Mory, où l’on forme des parachutistes. Pour plaisanter, ceux-ci la mettent un jour au défi de sauter, et elle ne se fait pas prier. Elle est si menue — 45 kilos — que les hommes l’ont surnommée « la môme quinze grammes ». Toujours la première à sauter, elle est toujours la dernière à arriver au sol.

Un jour, alors qu’on se prépare à sauter, le général commandant la base fait une inspection surprise. Tandis que les soldats se mettent au garde à vous, Valérie essaie de se cacher au troisième rang entre deux gaillards de 1 m 80. Le général passe, s’arrête devant elle, la dévisage avec un air railleur et s’écrie : — Ça par exemple ! Mais c’est une femme ! Le commandant se hâte de lui expliquer que « Mademoiselle le Docteur » soigne les soldats avec tant de dévouement que, pour la remercier, ils l’emmènent avec eux. Echange de bons procédés. — A-t-elle sauté ? demande le général. — Quinze fois, mon général ! Et au poil ! Quinze fois ! Faites-lui passer l’examen médical et, si elle est apte, qu’on lui donne le brevet. Et voilà comment Valérie, le « Toubib », devint parachutiste en titre.

Lorsque l’armée française demande des médecins pour l’Indochine, Mademoiselle Valérie André se porte volontaire. Arrivée à Saigon en 1949, elle est nommée assistante du médecin chef de l’hôpital Coste, centre de neurochirurgie. Un matin, le médecin-général André Robert l’appelle à son bureau. On vient d’apprendre qu’un sergent français est très gravement malade dans le haut Laos. Il faudrait cinq jours au médecin le plus proche pour parvenir à ce poste avancé, à supposer qu’il réussisse à traverser un territoire infesté d’ennemis. Le général Robert explique à Mademoiselle André que l’état du sergent exige des soins immédiats et lui demande si elle est prête à se laisser parachuter. Elle répond aussitôt par l’affirmative. Elle passe trois semaines sur les lieux à soigner le sergent, ainsi que plusieurs malades atteints de typhus. Mais alors se présente un autre problème qui a toujours donné du fil à retordre au service de santé : quand on a parachuté un médecin pour une mission spéciale, comment le récupérer ensuite ? Cette fois-là il faut vingt-six hommes et un certain nombre d’animaux de trait. Ils se fraient un passage en file indienne à travers la jungle épaisse. Les indigènes ne cessent de parler de cette jeune femme médecin qui est descendue du ciel. A toutes les étapes, sur le chemin du retour, les villageois viennent lui demander de soigner leurs malades. Jusqu’à une heure avancée de la nuit, longtemps après que les soldats épuisés par une journée de marche se sont endormis, Valérie prodigue ses soins aux Vietnamiens. Au bout de cinq jours il ne lui reste plus de médicaments, mais elle a des quantités de porte-bonheur, de curieux bracelets de coton, attachés à son poignet par les habitants de la jungle reconnaissants. Cette expérience montre à Mademoiselle André que les combattants d’Indochine ont un besoin criant d’hélicoptères.

Au cours de 1950, le général Robert apprend qu’il va enfin disposer de deux hélicoptères. Valérie se porte aussitôt volontaire pour apprendre à les piloter au cours d’une prochaine permission en France. C’est ainsi qu’elle passe sa « permission » à 48 kilomètres de Paris, à Cormeilles-en-Vexin, dans une école d’entraînement privée réservée à l’armée et dirigée par le commandant Henry Boris. A cette époque, la France ne compte que trois ou quatre pilotes d’hélicoptère. Seule femme d’un groupe de six élèves, Mademoiselle André n’est pas prise très au sérieux dans les débuts. Mais bientôt les hommes comprennent que cette petite femme aux épaules si fragiles n’est pas là en amateur. En tout cas elle ne profite jamais de ce qu’elle est femme pour couper aux corvées. Comme tout le monde, elle pousse les hélicoptères pour les rentrer le soir dans les hangars et les en sortir le matin. Elle fait le plein, frotte et nettoie les appareils. Son instructeur, André Onde, se souvient pourtant d’un cas où son instinct féminin s’est manifesté. Par une chaude journée du mois d’août, un corbeau vient se poser sur la route et ses pattes sont prises dans l’asphalte qui fond au soleil. Les hommes rient à gorge déployée en voyant les efforts qu’il fait pour se libérer. Valérie, elle, ne rit pas. Elle se précipite et dégage l’oiseau qui, en se débattant s’est cassé trois griffes. Valérie sort sa trousse, procède à une amputation selon toutes les règles de l’art, panse le corbeau sans se soucier des rieurs et lui rend la liberté.

Le commandant Boris assiste à son « lâcher », son premier vol seule à bord d’un hélicoptère. — Elle s’en est bien sortie ! dira-t-il plus tard. Quelle maîtrise ! Cette femme a un sang-froid merveilleux ! Valérie obtient son brevet, et le commandant Boris la considère à l’heure actuelle comme un des meilleurs pilotes d’hélicoptère qu’il connaisse. Elle a aussi passé son brevet de transport public, brevet aux épreuves difficiles qu’elle est la seule femme au monde à posséder.
De retour en Indochine, Valérie réussit à sauver des hommes qui, sans cela, n’auraient pas survécu.
Elle m’a raconté qu’une fois elle est restée six jours seule avec deux compagnies de légionnaires. Le capitaine Alexis Santini l’avait amenée en avion pour qu’elle pût soigner sur place dix-sept blessés en attendant que Santini les transporte deux par deux à l’hôpital. Par suite d’ennuis mécaniques, il lui avait été impossible de revenir après son second voyage. Valérie avait la responsabilité des treize blessés restants. Tandis que la bataille faisait rage entre les légionnaires et les éléments de guérilla qui entouraient le poste, elle opéra deux hommes blessés à la tête et un autre dont le genou avait été labouré par un éclat d’obus. Pour salle d’opération elle disposait d’une tente, pour table, de bambous grossièrement assemblés. Le sixième jour, elle profita d’une accalmie pour s’échapper avec ses treize blessés dans un camion, au nez de l’ennemi. Un jour elle décolla avec un chargement de blessés au milieu du feu des mortiers. Elle avait à peine atteint 100 mètres d’altitude que les mitrailleuses et les fusils se mirent à cracher. Une balle atteignit le haut de la civière de droite. Cette partie, faite d’une composition à base de carton, sert d’abri au blessé. Avec un horrible bruit de râpe, le projectile fendit le sommet de la civière sur toute sa longueur comme l’eût fait une paire de ciseaux géants. Etant chargé, l’hélicoptère ne pouvait s’élever que d’une cinquantaine de mètres à la minute. Ces minutes furent un véritable martyre. Valérie Valérie André en uniforme devant Alouette 3 en 1976 - Photo DRcontinua de monter à la verticale afin que, si l’appareil était atteint, il pût se poser dans l’avant-poste et non au milieu des ennemis. A 300 mètres d’altitude, les oreilles résonnant encore du bruit des balles, elle put prendre la direction du retour.

Valérie André, à son retour d’Indochine, connaît beaucoup d’autres glorieuses aventures et surmonte de nouveaux dangers. Pendant cinq ans elle est affectée au centre d’essais en vol de Brétigny-sur-Orge, près de Paris, comme pilote et médecin du personnel navigant. Puis, nommée pilote et médecin chef d’une escadre d’hélicoptères lourds et légers en Algérie, elle mène à bien plusieurs centaines de missions.
Le médecin-commandant André, une des femmes les plus célèbres de France, est chevalier de la Légion d’honneur, titulaire de la croix de guerre des T.O.E. avec cinq citations à l’ordre de l’armée et de la croix de la valeur militaire.
« Cache, sous une frêle apparence féminine, une énergie peu commune, un courage à toute épreuve, un dévouement sans limite et la plus froide audace. Sert magnifiquement la cause de la France ». Tel est le texte d’une de ses citations. De son côté, le Viêtnam lui a décerné sa propre croix de guerre et la croix d’officier de l’Ordre national du Viêtnam. Pourtant, comme c’est le cas pour beaucoup de vrais braves, Valérie ne cherche pas du tout à jouer les héroïnes. Elle s’est refusée à porter le ruban rouge jusqu’au jour où son beau-frère, lui-même chevalier de la Légion d’honneur, lui a dit que c’est une des règles de l’ordre. C’est alors seulement qu’elle permit à sa sœur de coudre le ruban sur sa tunique.
La vie en période d’opérations militaires n’a jamais passé pour spécialement agréable. Il faut souffrir, pour le moins, toutes sortes d’incommodités et d’inconforts. Mais Mademoiselle André ne se plaint pas. Elle ne prend presque pas le temps de se distraire et n’a pas souvent son compte de sommeil. Mais où qu’elle passe, que ce soit dans un hôpital, dans un poste ou dans la rue, il n’est pas rare qu’un soldat vienne à elle pour lui dire : — Mademoiselle Hélicoptère, vous souvenez-vous de moi ? Vous m’avez sauvé la vie. Source
Valérie André dessin illustration 1962 - Dessin DR L'album des jeunes sélection du Reader's digest (1962)
Général Valérie André 1922-2025 - Photo DR


Août 1953 - L’HEROÏQUE AVENTURE DE LA « MOME 15 GRAMMES », « TOUBIB A AILETTES », SUR LE FRONT D’INDOCHINE - Mademoiselle Hélicoptère par BLAKE CLARK

Pilote d’hélicoptère, chirurgien. Mlle Valérie André est aussi la seule femme au monde à posséder le brevet de pilote de transport. « Sous une frôle apparence féminine, dit une de ses citations à l’ordre de l’armée, clic cache une énergie peu commune, un courage à toute épreuve, un dévouement sans limite et la plus froide audace. »

Le capitaine Valérie-Edmée André n’est petite que par la taille 1 m. 60 seulement. Mais courageuse jusqu’au bout des ongles. Chirurgien et pilote d’hélicoptère sur le front d’Indochine, elle fonce au cœur de la bataille, traitant sur place si nécessaire les blessés graves avant de les transporter en hâte et en douceur vers l’hôpital le plus proche. En deux ans et demi elle a exécuté cent vingt missions, dont près de la moitié en territoire ennemi. En trois cent quarante heures de vol, elle a accompli cent soixante-huit sauvetages et jusqu’à présent s’en est tirée sans une égratignurc.
Dernièrement, un message parvient au camp d’aviation de Gia-Lam, près Hanoï : « Capitaine André ! Préparez-vous ! Deux blessés graves à évacuer de Han-Alac. Rendez-vous avec la patrouille de chasse ! »
Dix minutes plus tard, ses cartes sous le bras, coiffée d’un chapeau à larges bords pour se protéger du soleil, ses trois galons d’or sur fond de velours rouge accrochés en travers de sa tunique, la charmante aviatrice s’installe dans le cockpit en Plexiglass de l’hélicoptère qui l’attend.
Edméé ne tarde pas à approcher de Phu-Ly, tout près des lignes Viets. Elle prend de l’altitude pour échapper au tir des canons ennemis. En code elle lance un message radio à la chasse :
« Ventilateur appelle. »
Aussitôt lui parvient la réponse :
« Ici Chef Bleu, je serai là dans trois minutes. »

Dans une petite clairière, un peu plus loin, elle aperçoit une marque blanche et se prépare à atterrir. Elle jette un coup d’œil sur cet avant-poste caractéristique, un de ceux qui soutiennent le poids de la lutte quotidienne en Indochine. 10 mètres sur 10 environ, entouré de barbelés. A chaque coin, une mitrailleuse est en batterie. Quelques dizaines de soldats l’occupent. Le jour ils patrouillent dans un vaste secteur et regagnent, le soir, cet abri sommaire, mais relativement sûr. Après des semaines de calme, cet avant- poste a été tout à coup attaqué par surprise. Les Viets l’ont approché en rampant, à la faveur de la nuit.
Le capitaine André descend en spirale, s’écartant le moins possible de la verticale de manière à rester sous la protection des mitrailleurs. Les chasseurs d’escorte-patrouillent en rase-mottes, mitraillant la jungle environnante afin de décourager les tireurs isolés.
L’hélicoptère se pose dans la clairière. Edmée laisse tourner le moteur et ne s’éloigne que de quelques mètres pour aller examiner deux blessés vietnamiens. L’un d’eux souffre le martyre : blessure profonde à la cuisse, causée par l’explosion d’une mine. Elle lui fait une piqûre de morphine, puis montre aux hommes la manière de placer le blessé sur l’une des civières en toile métallique doublée de caoutchouc mousse qui sont accrochées aux flancs de l’hélicoptère. Le blessé est solidement maintenu par les courroies : il ne faut pas, en cours de vol, qu’il roule sur sa jambe blessée. Le second soldat, qui a une épaule fracassée, est placé sur l’autre civière.
Tandis que Mlle André les enveloppe dans leurs couvertures, le sergent vietnamien qui commande le poste arrive en courant avec un énorme paquet de lettres.
« Pouvez-vous les emporter ? implore- t-il. Mes hommes sont ici depuis un an. Les avions ravitailleurs nous parachutent du courrier, mais c’est la seconde fois seulement que nous avons l’occasion d’en envoyer.  »
Elle trouve une place pour loger la précieuse cargaison.
En décrivant de grands cercles, l’hélicoptère gagne 300 ’ mètres d’altitude et met le cap sur Hanoï. Les deux blessés sont étendus de chaque côté d’elle, à l’extérieur du cockpit. De la main, elle peut atteindre leur visage.
« Nous arriverons bientôt », leur dit-elle pour les rassurer.
Ils esquissent un sourire de reconnaissance.
Après avoir passé Phu-Ly, elle lance un message radio :
« Merci, Chef Bleu, je pourrai atterrir toute seule. »
Le vrombissement de son rotor fait accourir les brancardiers du terrain d’Hanoï, qui ont été alertés. Planant habilement, elle se pose avec la douceur d’une colombe. On transporte en hâte les blessés à l’excellent hôpital d’Hanoï, où des chirurgiens expérimentés prennent aussitôt soin d’eux.
De retour au camp de Gia-Lam, Mlle André met pied à terre, allume une cigarette et rédige son rapport. « 160 kilomètres. Deux heures et demie de mission. Pas d’ennuis de moteur. Pas de D. C. A. Les blessés sont en bonnes mains. Voyage sans histoire. »

Athlétique, Mlle André a la taille d’un jockey et la poigne d’un haltérophile. Avec cela, sensible, alerte, vive comme le vif-argent. A voir sa bouche bien dessinée, toujours prête à .sourire, et la candeur de ses yeux marron, on ne penserait pas qu’elle a vu tant de souffrances î
Sixième d’une famille de neuf enfants, elle est née à Strasbourg, où son père était professeur au lycée. Celui-ci nous a dit que courage et esprit d’indépendance ont toujours été les qualités dominantes d’Edmée. A treize ans elle se passionne pour la moto. Un jour, à la foire de Strasbourg, elle va voir dans une baraque d’attractions des casse-cou qui terrifient les spectateurs en tournant à toute vitesse sur un mur de bois circulaire. Leur numéro terminé, elle quitte sa place et demande qu’on lui laisse faire un essai. Elle conduit si bien ces engins bondissants et rapides que les acrobates l’invitent à s’engager dans leur troupe.
Sa passion pour l’aviation remonte au jour où le fiancé de sa sœur remmène faire un tour dans son biplace. Dès fors, Edmée se spécialise dans l’école buissonnière pour aller contempler les avions sur le terrain privé de l’Acro-Club d’Alsace. A dix-sept ans elle prend ses premières leçons de pilotage avec « Bouboule » Pinot, qui s’est acquis une certaine notoriété connue mécanicien de Guynemer.
Survient la seconde guerre mondiale. A leur arrivée, les Allemands ferment les écoles de pilotage. Edmée s’oriente vers sa seconde passion, la médecine. Elle s’inscrit à la Faculté de Strasbourg, alors en exil à Clermont-Ferrand. Ne pouvant plus piloter des avions à moteur, elle se lance dans le vol à voile. En novembre 1943, la Gestapo fait une descente à l’université, tue plusieurs professeurs et arrête tous les étudiants qui tombent entre ses griffes pour les envoyer en Allemagne continuer leurs études. Edmée ce jour-là est à l’hôpital. Sa propriétaire la fait prévenir, ce qui lui permet de se sauver à Paris.
Elle continue ses six ans d’études à la Faculté de médecine et se spécialise dans la chirurgie du cerveau. Elle entreprend également de compléter ses connaissances dans un domaine qui lui tient à cœur et suit des cours sur les problèmes de biologie aéronautique. Sa thèse s’intitule : « la Psycho-pathologie du saut en parachute. » Cette étude lui vaut le titre de lauréat de la Faculté de médecine et la médaille d’argent, décernée chaque année à quelques élèves particulièrement remarquables.

Son diplôme en poche, Edmée combine ses deux vocations en remplaçant le major du camp d’aviation de Atitry-Atory, où l’on forme des parachutistes. Pour plaisanter, ceux-ci la mettent un jour au défi de sauter.
Avant qu’ils aient eu le temps de s’en rendre compte, elle est avec eux dans l’avion. Elle est si menue — 45 kilos — que les hommes l’ont surnommée : « la môme 15 grammes ». Toujours la première à sauter, clic est toujours la dernière à arriver au sol.
Un jour, alors qu’on se prépare à sauter, le général commandant la base fait une inspection surprise. Tandis que les soldats se mettent au garde à vous. Edmée essaie de se cacher cnlre deux gaillards de 1 m. 80, au troisième rang. Le général passe, s’arrête devant elle, la dévisage avec un air railleur et s’écrie :
« Ça, par exemple ! Mais c’est une femme î »
Le commandant se dépêche de lui expliquer que « Mlle le docteur » soigne les soldats avec tant de dévouement que, pour la remercier, ils remmènent avec eux. Echange de bons procédés.
« A-t-elle sauté ? demande le général. — Quinze fois, mon général î cl au poil !
— - Quinze fois ! Faites-lui passer l’examen médical et, si elle est apte, qu’on lui donne le brevet ! »
Et voilà comment Edmée devint parachutiste en titre.
Lorsque l’armée française demande des médecins pour l’Indochine, Mlle André se porte volontaire. Arrivée à Saigon en 1949, elle est nommée assistante du médecin chef de l’hôpital Coste, centre de neuro-chirurgie. Un matin, le médecin général André Robert l’appelle à son bureau. On vient d’apprendre qu’un sergent français est gravement malade près de Muong-Nghat, dans le Haut-Laos. C’est un poste si avancé qu’il faudrait cinq jours au médecin le plus proche pour y parvenir, à condition de pouvoir traverser un territoire infesté d’ennemis.

Tel est l’un des nombreux problèmes qui rendent la situation du service de santé si décourageante en Indochine et un bataillon d’infanterie entier pour aller chercher et ramener les blessés. Cahotés sur des civières ou à dos de mulet, quantité meurent en cours de route. De plus, le long convoi des sauveteurs fournit une cible idéale aux tireurs isolés.
Le général Robert explique à Mlle André que l’état du sergent exige des soins immédiats et lui demande si elle est prête à se laisser parachuter.
Elle passe trois semaines sur les lieux à soigner le blessé et plusieurs cas de typhus qui se sont déclarés au camp. Alais alors se présente un autre problème, qui a toujours donné du fil à retordre au service de santé : quand on a parachuté un médecin pour une mission spéciale, comment le récupérer ensuite ?
En l’occurrence, il faut deux sergents, vingt-quatre soldats et un certain nombre d’animaux de trait. Ils se fraient un passage, en file indienne, sur un sentier d’un mètre de large, à travers la jungle épaisse. Les indigènes ne cessent de parler de cette jeune femme médecin qui est descendue du ciel en un saut vertigineux. A toutes les étapes, sur le chemin du retour, les villageois viennent lui demander de soigner leurs malades. Jusqu’à une heure avancée de la nuit, longtemps après que les soldats, épuisés par une journée de marche, se sont endormis, Edmée prodigue scs soins aux Vietnamiens. Au bout de cinq jours il ne lui reste plus de médicaments, mais elle a des quantités de porte-bonheur, de curieux bracelets de coton, attachés à son poignet par les habitants de la jungle reconnaissants.
Cette expérience montre à Mlle André que les combattants d’Indochine ont un besoin criant d’hélicoptères pour permettre au médecin non seulement d’atteindre les régions isolées, mais aussi d’en revenir. Au cours de l’été 1950 le général Robert apprend qu’il va disposer de deux hélicoptères. AV’ André s’offre aussitôt à apprendre à les piloter au cours d’une permission prochaine.

C’est ainsi qu’elle passe sa « permission », à 48 kilomètres de Paris, à Cormeilles-en-Vexin, dans une école d’entraînement privée réservée à l’armée et dirigée par le commandant Henry Boris. A cette époque la France ne comptait que trois ou quatre pilotes d’hélicoptère. Seule femme d’un groupe de six élèves, Mlle André n’est pas prise très au sérieux dans les débuts. Mais bientôt les hommes comprennent que cette petite femme aux épaules si fragiles n’est pas là en amateur. En tout cas, elle ne profite jamais de ce qu’elle est femme pour couper aux corvées. Comme tout le monde, elle pousse les hélicoptères pour les rentrer le soir dans les hangars et les en sortir-le matin. Elle fait le plein, frotte et nettoie les appareils.
Son instructeur, André Onde, ne se souvient que d’un seul cas où son instinct féminin se soit manifesté. Par une chaude journée du mois d’août, un corbeau vient se poser sur la route et scs pattes sont prises dans l’asphalte qui fond au soleil. Les hommes rient à gorge déployée en voyant les efforts qu’il fait pour se libérer.’ Edmée, elle, ne rit pas. Elle se précipite et dégage l’oiseau, qui, en se débattant, s’est cassé trois griffes. Edmée sort sa trousse, procède à une amputation selon toutes les règles de l’art, panse le corbeau et lui rend la liberté.
Le commandant Boris assiste à son « lâcher », son premier vol seule à bord d’un hélicoptère.
« Elle s’en est bien sortie ! dira-t-il plus tard. Quelle maîtrise ! Cette fille a un sang-froid merveilleux ! »
Edmée obtient son brevet, et le commandant Boris la considère à l’heure actuelle comme un des meilleurs pilotes d’hélicoptère qu’il connaisse. Elle a dernièrement passé son brevet de pilote de transport, brevet qu’elle est la seule femme au monde à posséder.

De retour en Indochine, Edmée réussit à sauver des hommes qui autrement n’auraient pas survécu. Le sergent Joseph Lerougc m’a raconté, alors qu’il était encore à l’hôpital, comment il a été sauvé par Mlle André. La colonne d’artillerie dont il faisait partie était tombée dans une embuscade du Vietminh. Il avait une balle dans la jambe et son dos avait été labouré par un shrapnel. Une demi- heure de transport dans une ambulance militaire demeure la plus douloureuse expérience de sa vie. Plus mort que vif, il arriva enfin sur la piste d’atterrissage, où il rencontra pour la première fois Al”’ André.
« En la voyant venir me chercher dans ce coin perdu, j’ai eu l’impression que ma mère avait tout à coup surgi au milieu de la jungle, me dit-il. Quand clic me donnait une petite tape sur la joue, c’était merveilleux ! Dans son hélicoptère, j’avais l’impression d’être étendu sur un nuage.  » « Avant son arrivée, m’a dit un homme du service photographique de l’armée, ceux qui étaient blessés au ventre préféraient se flanquer une balle dans la peau plutôt que de souffrir de la gangrène qui s’emparait d’eux. Aujourd’hui, quand un homme est touché, il se dit : « La toubib » à ailettes est en route. » Il sait que l’armée ne l’oublie pas et fait tout pour le tirer d’affaire : ce n’est plus du tout la même chose. »

Edmée m’a raconté qu’elle était restée pendant six jours seule avec deux compagnies de légionnaires. Le capitaine Alexis Santini l’avait amenée en avion pour qu’elle put soigner sur place dix-sept blessés. Santini devait les transporter ensuite à l’hôpital deux par deux. Par suite d’ennuis mécaniques, il lui avait été impossible de revenir après son second voyage ; Edmée avait eu l’entière responsabilité des treize autres blessés.
Tandis que la bataille faisait rage entre les légionnaires et les éléments de guérilla qui entouraient le poste, elle opère deux hommes blessés au cerveau et un autre dont le genou avait été labouré par un shrapnel. Pour toute salle d’opération elle disposait d’une tenté, pour toute table, de bambous grossièrement assemblés. Un légionnaire, qui pourtant en avait vu d’autres, s’évanouit tandis qu’il l’aidait à administrer l’éther. Quoi qu’il en soit ; ces opérations d’urgence réussirent pleinement. Le sixième jour, elle profita d’une accalmie pour s’échapper avec ses treize blessés. Défiant les lignes ennemies, un camion les conduisit au village voisin et, de là, à l’hôpital.

Le capitaine André, « toubib à ailettes », accompli cent soixante-huit sauvetages en trois cent quarante heures de vol à bord de son hélicoptère qui a été spécialement aménagé pour le transport des blessés graves.

Mlle André a vécu un des instants les plus pathétiques de sa vie le jour où elle transporta un légionnaire blessé à la tête. Il était dans le coma lorsqu’on l’installa sur la civière de l’hélicoptère. A 500 m d’altitude, il se réveilla. Pris de panique, il brisa les courroies qui attachaient ses poignets, trouva le moyen d’entrer dans le cockpit, la figure couverte de sang, où il il essaya de s’emparer des commandes. Edmée parvint à l’en éloigner, mais le poids de l’homme déplaçait le centre de gravité de l’appareil au point de menacer dangereusement l’équilibre de celui-ci. Sans compter qu’il risquait d’un moment à l’autre de tomber dans le vide. Fort heureusement, affaibli par l’hémorragie, il finit par retomber sur la civière.
Lorsque les Français lancèrent une grande offensive, en mars dernier, pour repousser les Viets hors du delta tonkinois, Mlle André survolait plusieurs heures par jour le territoire ennemi. Au-dessus d’elle de gros nuages, dans lesquels son avion ne pouvait s’engager en sécurité (car il était dépourvu des instruments nécessaires au vol sans visibilité), l’obligeaient à voler à basse altitude. Les Viets la prenaient constamment pour cible, bien que la croix rouge fut visiblement peinte sous le fuselage de son appareil.

Un jour elle décolla avec un chargement de blessés au milieu du feu des mortiers. Elle avait à peine atteint 100 mètres d’altitude que les mitrailleuses et les fusils se mirent à cracher. Une balle atteignit le haut de la civière de droite. Cette partie, faite d’une composition à -base de carton, sert d’abri au blessé. Avec un horrible bruit de râpe, le projectile fendit le sommet de la civière sur toute sa longueur, comme l’eût fait une paire de ciseaux géants.
Etant chargé, l’hélicoptère ne pouvait s’élever que d’une cinquantaine de mètres à la minute. Ces minutes furent un véritable martyre. Edmée continua de monter à la verticale afin que, si l’appareil était atteint, il put se poser dans l’avant- poste et non au milieu des ennemis. A 300 mètres d’altitude, les oreilles résonnant encore du bruit des balles, elle put se diriger vers un lieu sur.

A trois reprises, des généraux français ont décoré leur chirurgien volant de la Croix de guerre des T. O. E. avec palmes. Après lui avoir épinglé la croix sur sa blouse blanche et lui avoir donné l’accolade, ils ont lu la citation rituelle à l’ordre de l’armée. L’une dit notamment :
« Sous une frêle apparence féminine elle cache une énergie peu commune, un courage à foute épreuve, un dévouement sans limite et la plus froide audace. Elle sert magnifiquement la cause de la France.  »
Elle a été également faite chevalier de la Légion d’honneur. De son côté, le Vietnam lui a décerné sa propre croix de guerre et la croix d’officier dans l’ordre national du Vietnam.
Pourtant, comme c’est le cas pour beaucoup de vrais héros, Edmée ne cherche pas du tout à jouer les héroïnes.
 Elle s’est refusée à porter le ruban rouge, jusqu’au jour où son beau-frère, lui-même chevalier de la Légion d’honneur, lui a dit que c’est une des règles de l’ordre. C’est alors seulement qu’elle permit à sa sœur de coudre le ruban au revers de sa tunique.
Sans se rendre compte qu’elle est en passe de devenir une des femmes les plus célèbres de France, elle commande aujourd’hui l’escadrille tonkinoise, qui compte quatre hélicoptères. Entre deux missions elle s’occupe de commander l’huile, l’essence et les pièces détachées. Elle choisit les mécaniciens qui feront les réparations et veille à ce que les missions soient équitablement réparties entre les pilotes.
La vie en Indochine n’est pas spécialement agréable. Au Tonkin, il arrive que la température monte à 50 degrés. Mlle André ne prend presque pas de distractions et n’a jamais son compte de sommeil. Mais où qu’elle passe, que ce soit dans un hôpital, dans un poste ou dans la rue, il est rare qu’un soldat ne vienne vers elle pour lui dire :
« Mademoiselle Hélicoptère, vous souvenez-vous de moi ? Vous m’avez sauvé la vie.  »
Alors Valéric-Edmée André oublie la chaleur suffocante qui règne sous le Plexiglass de son cockpit, la moustiquaire sous laquelle elle dort toutes les nuits, les tireurs isolés dans les herbes géantes et les éclatements meurtriers des mortiers.
Elle sait pourquoi elle continue de rester en Indochine.

 Cliquez ici pour en savoir + sur Valérie André.

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