Les mains crispées sur les double-commandes de notre Alouette III rouge, je l’entends encore me dire : « Prends cet angle d’approche, si ça ne tient pas, dégage vers toi, si tu pars de mon côté… nous sommes morts. »
En ce jour de printemps 1991, Mécanicien d’équipage à bord de l’hélicoptère de la Sécurité civile, je n’avais pas hésité un instant quand Patrick BROS, le pilote me proposait de prendre les commandes pour effectuer un posé de notre appareil au sommet du mont Blanc.
Nouvellement affecté dans la région, il aimait évoluer dans ce massif montagneux conscient des caprices de son aérologie et de la difficulté des missions de secours qui l’attendent.
Jusqu’alors il dirigeait la Base Hélicoptère de Bordeaux, là où, les reconnaissances aériennes sur les feux de forêts des Landes et le secours aux noyés sur les immenses plages de l’océan n’avaient plus de secret pour lui.
Désireux de passer à autre chose, il avait accepté d’assumer les fonctions de Chef de la Base Sécurité Civile d’ANNECY-CHAMONIX après une formation complémentaire dans la spécialité du vol en montagne.
Fils de maquignon et amoureux du terroir, son accent du Sud-Ouest nous amusait un peu... Je l’avais connu quelques années auparavant à LACANAU et je n’avais pas oublié la bonhomie toute particulière qui accompagnait ses agréables qualités humaines.
A peine installé dans le bureau exigu qu’occupait l’ancien chef de la Base, son premier geste fut d’enlever carrément la porte, initiative qui caractérisait parfaitement son ouverture d’esprit et son entière confiance.
Cela nous avait quand même un peu surpris d’autant que certains de ses confrères n’hésitaient pas à maintenir ce local verrouillé dans le plus grand secret.
Très ouvert, convivial, généreux et disponible, il savait également écouter nos conseils et je prenais plaisir à lui transmettre mon savoir sur la particularité des missions de secours en haute montagne pas toujours explicitées dans les manuels et essentiellement tributaires des manœuvres d’hélitreuillage. Cette première saison d’été fut pour lui riche en expériences et en activités lui laissant présager un bel avenir dans cette spécialité. Malheureusement, le destin en décidera tout autrement.
En ce début de septembre 1991, sur fond d’écran naturel d’un magnifique bleu horizon, le médecin de l’Ecole Nationale de Ski et d’Alpinisme de CHAMONIX se fait déposer par l’hélicoptère rouge à côté du refuge VALLOT,
le plus proche du sommet. Dans le cadre d’une mission d’expérimentation sur le « mal aigu des montagnes », caméra à la main, il filme les évolutions de l’Alouette III qui, parfaitement cadrée dans l’objectif, disparaît un instant cachée par le sommet puis, étrangement, ne réapparaît plus.
Victime d’une perte de puissance dans l’aérologie capricieuse de cette zone, l’appareil vient de s’écraser avec à son bord Patrick BROS, le Mécanicien d’équipage Noël RIVIÈRE et deux responsables de l’Ecole Nationale de Ski et d’Alpinisme.
Heurtant un sérac, l’Alouette éjecte ses quatre occupants et se désintègre dans un nuage de neige poudreuse avant de s’immobiliser 100 m plus bas. L’alerte aussitôt donnée, Pascal BRUN, pilote du Secours Aérien privé, basé à Argentière embarque dans son hélicoptère deux secouristes du P.G.H.M. et le médecin de garde du Secours en montagne. Arrivera ensuite en renfort l’Alouette III bleue de la Gendarmerie de Megève rentrant de mission sur Thonon-les-Bains.
Sérieusement blessé à l’épaule, Noël RIVIÈRE est évacué en premier, le câble en acier de sa ceinture de sécurité est rompu, l’hématome qui entoure sa taille témoigne de la violence du choc. Les deux autres passagers seront évacués, victimes de graves blessures à la colonne vertébrale. Un corps sans vie est retrouvé presque intact, c’est celui de Patrick… Récupéré, il sera également redescendu dans la vallée.
A l’intérieur de l’ancienne ferme que la famille BROS avait louée à la sortie de la ville, Françoise son épouse, écarte le rideau de la petite fenêtre, elle vient de reconnaître le bruit caractéristique de l’ouverture de son portail. Elle aperçoit trois hommes pénétrant dans la cour, la tenue de gendarme de l’un d’eux et le tablier blanc d’un autre, lui fait comprendre immédiatement que quelque chose de grave va lui être annoncé.
En effet, les trois hommes se présentent à la porte d’entrée et avec une figure de circonstance, lui annoncent le décès accidentel de son mari.
Françoise reste là debout face à eux, un instant silencieuse, puis réclame aussitôt des précisions sur les circonstances du drame. Blottie derrière elle, une petite fille s’enfuit en pleurs dans sa chambre. Ses deux frères apprendront la terrible nouvelle dès leur retour. Pour l’instant, ils ignorent encore que cette fois leur père ne rentrera pas. Celui dont ils étaient si fiers a laissé sa vie là-haut dans la blancheur des neiges éternelles mais son souvenir lui aussi demeurera impérissable.
MAJ 05-06-2021 |
Messages
2 octobre 2011, 18:12, par Potelle Jean-Marie
Magnifique récit, Francis, un drame qui fait mal aussi.
Amitiés
3 octobre 2011, 15:17, par Marc Lafond
Comme mon ami Michel Lamousse en février 84, Patrick disparaît dans des conditions tragiques, il était de ceux qui aiment les gens et la vie ; j’appréciai particulièrement l’esprit et la simplicité qu’il savait afficher dans les réunions professionnelles Parisiennes.
Ton article est un beau et dernier hommage auquel je m’associe, adressé à sa famille.
Ton ami Marc
8 décembre 2012, 13:08, par Florian Bros
Merci pour ce touchant témoignage qui honore avec sincérité la mémoire de mon père. Parti trop tôt, il manque énormément aux siens et serait fier aujourd’hui d’être le grand-père d’une petite Zoé qui a ramené beaucoup de joie et de bonheur dans notre famille.
10 décembre 2012, 15:19, par DELAFOSSE
Cher Florian,
Quelle émotion de te lire sur ce site aprés toutes ces années !
Sincères félicitations pour la naissance et bien le bonjour à ta maman et toute votre famille.
Francis
24 septembre 2013, 13:50, par Bros
Je m’associe à mon tour à mon frère pour remercier tous ceux qui l’ont connu et apprécié dans ses missions et vous témoigner notre gratitude quant à vos initiatives de mémoire qui concourent à faire vivre dans nos coeurs le souvenir de cette très belle personne.
Nous souhaitons une longue vie à tous les pilotes, mécaniciens et autres gens du métier qui contribuent à honorer cette profession pleine de courage et qui nous transmettent la force et la foi de continuer malgré les chagrins de la disparition.
Stéphanie Bros
13 avril 2014, 14:14, par Sage Vallier Marc
Courage Flo !
Ton vieux pote Marco.
2 novembre 2014, 19:18, par Robert GUGLIETA
années 1970 ! j’étais sous-Brigadier de le Police Nationale à MOLIERE (à LYON) Patrick était notre Officier et quel Officier ! Chaleureux , juste ; courageux et humain . Il habitait LA MUL....., moi aussi et nous faisions donc route ensemble. Pilote privé, j’’étais passionné d’aéronautique et nous parlions souvent de son futur changement d’activité. Puis il y eu la naissance de son deuxième ou troisième enfant (je ne sais plus avec précision). Ce fut une joie immense pour lui ... Je connaissais pas mal de choses de lui et Patrick, c’était la vie, la joie et tout le reste. On ne pouvait rester indifférent face à un tel homme et à son parcours ... très difficile.
Encore aujourd’hui, je suis triste, triste mais tellement heureux d’avoir croisé son chemin ! Je me permets d’embrasser sa famille qu’il chérissait tant .